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Une nouvelle de Lucas Bounéou

Illustrée par Sophian Bouadjera

Je faisais la queue au Monop’. Mes achats se résumaient à un paquet de chips au vinaigre hors de prix et un Perrier. Arrivé devant la caissière je demande une bouteille de whiskey. A ma droite, une jeune fille regardait attentivement le rayon alcool qui se trouvait derrière. D’une voix cassée elle me demande quel type de Gin elle pourrait prendre.

« Prends du whiskey, c’est pour les alcooliques le Gin »

« Je n’aime pas le whiskey, et ma copine non plus. »

   Elles étaient donc deux. Une grande brune me regardait distraitement en jouant avec ses cheveux, elle faisait non de la tête.

Je lui ai indiqué la bouteille la moins dégueu du rayon puis j’ai payé.

En fourrant la monnaie dans la poche de mon jean, j’ai offert un large sourire à la caissière.

Je n’avais pas l’intention de laisser filer mes jeunes alcooliques.

   En sortant du magasin, la chaleur moite de la ville m’a enveloppé. Il fallait agir vite et bien. J’avais garé ma vieille Honda exactement sur l’espace interdit de stationnement réservé à la livraison, juste devant la sortie. En faisant le tour pour ouvrir la portière côté conducteur, je me suis trouvé face aux deux qui sortaient. J’ai demandé où elles comptaient s’attaquer à ce Gin.

   Elles logeaient dans une villa sur les hauteurs de Cannes, « une putain de villa » selon leurs termes, qui jouissait d’une « putain de vue » sur la baie. Aux premières loges pour admirer le putain de feu d’artifice.

Les hauteurs c’est loin. Je ne pouvais pas les laisser y aller en bus.

Vu que mon unique programme était de m’asseoir sur la plage pour siroter ma bouteille en évitant les retombées de cendres brûlantes avant d’aller m’écrouler dans ma modeste chambre d’hôtel, je me suis proposé de les accompagner. Trop gentleman.

   Elles ne se sont pas faites prier. Le temps de mettre le contact et ces deux ingénues étaient déjà installées dans mon épave.

Bingo.

   La grande brune s’appelait Sarah. La beauté châtain clair à la voix cassée c’était Annabelle.

Annabelle s’est assise à côté de moi. Sarah a étendu ses longues et fines jambes bronzées sur la banquette arrière, la tête posée contre le plexiglas.

   J’ai allumé l’autoradio. Impossible d’écouter autre chose que des cassettes. J’en avais une demi douzaine dans la boite à gants. Leurs bandes magnétiques se faisaient vieilles et le son sortait un peu plus crade à chaque écoute. Annabelle en a enfoncée une au hasard dans le lecteur.

   La voix chevrotante de Lou Reed a empli  l’habitacle. J’ai ouvert ma fenêtre pour faire circuler l’air chaud dans nos cheveux. J’adore cette sensation de liberté immédiate. Sarah a essayé de faire de même mais la manivelle était coincée. Contrariée, elle a collé un peu plus son visage enfantin contre la vitre. J’essayais de l’observer discrètement dans mon retro viseur. Elle portait une petite jupe d’étoffe légère qui remontait bien plus haut que ses genoux, pratiquement en haut des cuisses. Je ne distinguais pas sa culotte à cause de la position quasi allongée mais ses jambes filiformes étaient magnifiques.

   Une succession de courbes légères nous a mené au bout d’une impasse fleurie. Elles m’ont demandé de m’arrêter devant une imposante grille éclairée par un lampadaire d’un autre temps. Nous sommes descendus.

   Sarah a poussé le fer forgé en y mettant toute sa force, la lourde grille s’est mise à bouger fendant la nuit d’un grand bruit sourd. Elle s’est retournée fière d’elle puis a décroché un clin d’œil à Annabelle en s’essuyant les mains sur sa jupe. Le passage  qui s’offrait à nous pour pénétrer dans le jardin nécessitait d’être fin et souple. Annabelle de son corps fluet s’est glissée sans difficulté. Ses petits seins se sont pressés contre le fer rouillé, laissant une trace orangée sur son t-shirt blanc. Elle a ri puis m’a fait signe de passer. Je lui ai tendu les sacs de courses et me suis introduit dans l’étroit passage. Il m’était impossible de faire la même manœuvre que cette brindille. D’un coup sec j’ai poussé la grille qui s’est mise à branler bruyamment. Sacrément lourde.

   Nous étions maintenant tous les trois dans un obscur jardin, baigné par la seule lumière blanche de la pleine lune. Sarah s’est dirigée vers la villa dont l’ombre se dessinait dans la nuit. Une putain de villa effectivement. Je sentais l’excitation monter en moi. J’étais désormais seul avec Annabelle qui marchait autour de ce qui semblait être une piscine. J’entendais le clapotis de l’eau, le reflet de la lune ondulait à la surface. Je me suis approché d’elle ma bouteille de whiskey à la main, j’ai englouti une large gorgée qui m’a immédiatement mis en orbite. Je lui ai demandé combien de temps elles allaient squatter cette baraque.

- On va essayer de rester là pour trois jours encore, ensuite on se casse faire les vendanges de beuh en Californie. Jusque là, personne n’est venu nous emmerder et puis ...

D’un geste ample du bras elle m’a indiqué l’époustouflante vue de la baie qui s’étendait devant nous.

  

   J’ai repris une gorgée en contemplant le spectacle qui s’offrait à moi. Sans voir l’expression de son visage plongé dans la nuit noire j’ai compris qu’Annabelle souriait.

   Un corps blanchâtre s’est avancé vers nous. C’était Sarah. Elle ne portait plus qu’un soutien gorge, une culotte et la bouteille de Gin entamée à la main. Elle l’a posée dans l’herbe puis s’est jetée à l’eau en poussant un cri suraigu.

   A cet instant, le feu d’artifice a illuminé le ciel et nos visages. Les explosions sourdes étaient jubilatoires. Nous avons crié. Nous avons applaudi. Sarah nous éclaboussait en riant. J’avais envie de faire l’amour. J’ai regardé le visage d’Annabelle qui changeait de couleur au rythme des détonations. Je lui ai pris la main et dit :

- Ce soir, je te fais aimer le whiskey.

J’ai sauté dans la piscine en l’entrainant dans ma chute. L’eau était chaude.

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