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Court-métrage.


 

Ses yeux sont gonflés, ses traits en zig-zag, son sourire à l’envers. Elle passe sa main dans ses cheveux, laissant tomber quelques mèches sur ses paupières qu’elle peine à ouvrir. Elle pose deux doigts sur ses lèvres que j’ai envie d’embrasser. Elle fronce les sourcils, semble être en pleine réflexion. Je l’aime, putain je l’aime.

 

La voyant s’éloigner, je décide d’aller me faire un café. Je marche d’un pas lourd, j’ai l’impression de peser une tonne, de traîner des conserves, des briques, des boulets derrière moi. Mes pieds s’enfoncent dans le parquet. Je sens des échardes me gratter les orteils. Dans la cuisine, le carrelage froid et blanc m’agresse des talons à la tête. Je jette une capsule dans la machine à expresso. Je n’aime même pas le café.

 

J’entends un bruissement dans le salon. Je me débarrasse de mes conserves, de mes briques et de mes boulets et me précipite voir ce qu’il se trame. Elle est de retour. Elle a entortillé sa chevelure dans un chignon négligé. Elle a du se passer de l’eau froide sur le visage car son expression est plus lucide, son teint rosi.

 

Je m’écrase sur une chaise le regard fixé sur le sien. Mon coeur se charge de plombs. J’ai envie de lui bouffer la bouche, de recouvrir ses joues avec mes mains, de me droguer à l’odeur de sa nuque et d’enfoncer mes ongles dans son dos. Mes artères se crispent, mais impossible de m’échapper. Elle m’hypnotise, elle m’envahit, elle me dévore, elle m’obsède.

 

Je l’ai rencontrée en avril dernier, à la terrasse d’un bar. Il était tard, j’avais bu, elle avait bu. Je me suis approché de sa table, au hasard, pour demander un briquet. Elle m’a tendu le feu sans décrocher d’une conversation avec ses amis. Saoul et idiot, j’ai décidé de m'asseoir avec eux. Saoul et doté d’une fausse confiance dopée par le houblon, je l’interpelle. Je lui demande son nom, son numéro de téléphone et lui assène quelques compliments trafiqués.

 

A ma grande surprise, elle répond à ma provocation avec humour. J’essaye de ne pas perdre le fil de ma drague, improvise chaque phrase, plus pathétiques les unes que les autres. Elle rit. Comme on dit… Je lui propose, en essayant de planter une pointe de malice dans mon regard, de lui faire l’amour, où elle veut, quand elle veut. Ses pupilles espiègles ne vacillent pas. Elle précise qu’elle n’est pas une fille facile, mais qu’elle aime la facilité. Cette offre pourrait conclure, sur un malentendu.

 

J’ai toujours eu du mal à aborder des filles en soirée. Je partais en conquérant avant de me rendre compte, de samedis soirs en samedis soirs, que je n’avais absolument pas le cran d’engager une conversation avec une inconnue. J'enchaînais alors les boissons, pour finir bourré et désinhibé. État d’ébriété qui n'était d'aucun secours dans ma quête de charisme.

 

J’ai toujours été nul pour les rencards. Ça me donnait la nausée. Ce genre de rendez-vous arrangé durant lequel on doit s’efforcer de dégager un mélange de séduction, de nonchalance, de drôlerie, d’intelligence, de galanterie, de spontanéité, tout en calculant chaque geste, chaque mot. Je ne me suis jamais considéré comme un romantique et j’étais loin d’être un Don Juan. Ou un salaud. J’étais juste mauvais à ce jeu dont les règles m’échappaient.

 

J’ai eu envie de jouer cette nuit de printemps. J’ai tout gagné et tout perdu. J’ai gagné des orgasmes, de l’adrénaline, un souffle de vie, le bonheur. J’ai perdu toute raison d’exister. J’ai compris que les relations humaines sont la chose la plus complexe et la plus inexplicable. Et la seule chose qui vaut la peine d’être vécue. Vraiment.

 

Elle porte un t-shirt blanc. J’entrevois la forme de ses seins pointer à travers le tissu. Je pouvais les faire disparaître dans mes paumes, j’avais l’impression qu’ils m’appartenaient. Je les aurais dévorés si j’avais pu. Je les mordillais, les léchais, les caressais. C’était plus un plaisir pour moi que pour elle. Une lubie, une occupation magnétique, une passion primaire, futile, bandante.

 

Elle repart et je constate qu’en dessous de la ceinture, elle n’est vêtue que d’une petite culotte, rose. Ma madeleine de Proust de notre histoire. Je revois cette petite culotte posée en boule sur le lit. Je l’attrapais pour la respirer avant qu’elle ne termine dans le tas de linge sale. Je repense au rush que j’éprouvais à chaque fois que je devais la retirer. J’attendais le dernier moment, gardant le meilleur pour la fin. Enfilant mes doigts sous les coutures, tirant lentement le coton vers ses chevilles.

 

Elle revient avec un verre de jus d’orange qu’elle avale d’une traite. Elle buvait toujours une bouteille entière de jus d’orange quand elle se réveillait déshydratée, après avoir consommé trop de vodka. Souvent, je filais à l’épicerie du bout de la rue le dimanche matin pour lui acheter une bouteille de jus d’orange, sans pulpe. On débriefait ensuite les événements de la veille. Elle avec son jus d’orange. Moi buvant ses paroles. Entre chaque gorgée elle levait les yeux au ciel, balançait une injure ou un gloussement. Potins, positions improbables, black out.

 

Elle avait beaucoup d’amis et tous les week-ends étaient très arrosés. Je la suivais. Je m’amusais. Mais ce qui m’importait c’était juste d’être avec elle. Potes ou pas. Cocktails ou non. J’étais bon comédien. J’étais bien intégré dans le groupe. On me trouvait sympa. Son plan cul devenu régulier. L’outsider devenu officiel. On baisait toujours en rentrant à la maison.

 

Je ne sais pas si elle m’a aimé. Elle ne me l’a jamais dit. Moi non plus. Le sentiment enflammait mon cerveau, me rongeait la langue, attaquait ma peau. Mais j’avais conscience qu’elle ne voulait pas l’entendre. Je n’avais pas été amoureux avant elle. J’ai l’impression que je ne pourrai plus l’être. Évidemment, c’est faux. Simple effet secondaire d’une rupture qui fait mal.

 

J’ai cru que c’était une blague. J’ai rigolé. Elle s’est un peu vexée. J’ai réalisé que ça n’avait rien d’une plaisanterie. Ça s’est terminé comme ça a commencé. Avec un discours cru, teinté d’ironie et dénué d’élégance. J’ai quitté son appartement sobre et ivre à la fois. Comment quelqu’un peut-il entrer dans votre quotidien, aussi facilement et le quitter tout aussi facilement? Je n’ai toujours pas trouvé de réponse à cette question.

 

J’aperçois une silhouette derrière elle. Un homme. Je ne le reconnais pas. Je ne le connais pas. Je ne la connais plus. Il ne la connaît certainement pas encore. C’est la seule chose qui me rassure. Si elle ne peut être à moi, j’aime à penser qu’aucun autre ne va percer son mystère à ma place. Cette idée m’empêche de sombrer dans une jalousie paranoïaque et me permet de me satisfaire d’images pixelisées.

 

Certaines personnes harcèlent leurs ex par SMS. Traquent leur humeur, leurs déambulations sur les réseaux sociaux. J’ai tout de suite su que ça ne me suffirait pas. Je me suis donné le droit de pouvoir continuer à la voir tous les jours. Ça peut paraître malsain et ça l’est. Dans un sens. Mais en coupant le cordon sans préavis, elle ne m'a pas laissé le choix.

Parfois, j’ai l’impression qu’elle m’observe aussi. Qu’elle pourrait m’entendre à travers son ordinateur, si j’osais parler. Je me prends à rêver qu’elle n’est pas dupe, que l’on continue à jouer. Qu’elle se donne en spectacle avec plaisir. Que ces hommes en arrière plan ne sont que des figurants de notre scénario. J’attends un clin d’oeil pour valider complètement cette théorie.

 

Elle se relève. Son nombril, son verre de jus d’orange vide, un écran noir. Elle me manque, putain elle me manque.

Une nouvelle de Caroline Boeuf

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