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E.P.H.E.B.O.P.H.I.L.I.A.

un article cinéphile de Charly Lazer

L’attraction jeune/vieux n’est sûrement pas un phénomène d’hier. Je me souviens qu’enfant mon papa m’emmenait parfois à son travail, un foyer pour la jeunesse désœuvrée ; et à une de ces soirées dansantes, j’ai fait la rencontre d’une fille qui devait avoir 15 ans, et elle avait l’air carrément amoureuse de moi, ce qui m’a peut-être traumatisé pour la suite. Je ne sais plus si elle m’avait peloté, ou si ce n’était que mots doux et bisous sur la joue, mais ce souvenir fait partie des épisodes érotiques majeurs de mon enfance, plus encore que ma première BD porno, étrangement égarée par mes parents dans ma chambre. Quand je me suis octroyé le droit d’écrire un papier sur le cinéma et la jeunesse, j’ai pris conscience que pas mal de films que j’avais plus ou moins adorés récemment présentaient d’une façon ou d’une autre la passion ambigüe entre un adulte et un adolescent, et souvent dans l’autre sens. Je me suis donc dit que ça devait être un sujet qui tenait à cœur à pas mal de bons cinéastes, au moins autant qu’à moi.

    Dans Broken Flowers de Jim Jarmusch, biscuit-mou-Bill Murray ne demande rien à personne mais se voit lancer par un ami fan de jazz éthiopien sur les traces d’un fils qu’il n’avait pas envisagé. Au final il réussit à se faire inviter à dîner par ses ex et tombe sur secrétaire-Chloé Sevigny plus sexy que jamais. Mais le plus intéressant se déroule lors de la première visite. Le cadre : une maison de banlieue populaire avec panier de basket, voiture tunée devant le garage et vide-grenier en jachère. Le spectateur est dans une situation d’attente. Action : Don est accueilli par Lola, une jeune fille en fleur que les gens appellent parfois Lo mais dont le vrai prénom se trouve être Lolita. La logique des prénoms prend tout son sens. Don le séducteur fatigué se retrouve face à son alter ego dans le corps d’une adolescente séductrice qui va jusqu’à lui proposer des esquimaux et ne comprend pas pourquoi l’évocation de son nom provoque des réactions de surprise. Cette séquence atteint son paroxysme fantasmatique, lorsque Lo revient nue dans le salon pour saisir son deuxième téléphone, alors que Don est lui-même en train d’espionner les alentours. Une chose est certaine soit elle l’allume, soit elle est la pire greluche. Papa Don se sent mal à l’aise, mais impassible il déserte sur la pointe des pieds. Là son ex, milf-Sharon Stone, arrive et, ni une ni deux, lui balance qu’il y’a du poulet au diner. A table, Lola est excitée comme une puce mais c’est plus infantile. Du coup, Don finit avec sa mère. A l’aube, il se lève, et quand il monte dans sa voiture, Lolita apparait en sous-vêtements pour lui dire adieu. Sa mère pas franchement stricte lui ordonne de rentrer s’habiller. Ce qu’on garde en souvenir, c’est cette jeune fille sans âge qui désobéit pour saluer à travers la baie vitrée cet homme ordinaire qui fait plus que son âge. Pourquoi ? Peut-être dans la perspective de trouver un nouveau père, d’une façon ou d’une autre, en le refilant à sa maman ou en le gardant pour soi.

   Quoi qu’il en soit, les filles peuvent être de vraies petites chiennes, au cinéma comme dans la vraie vie, en imaginant qu’un certain cinéma puisse être le reflet de la vraie vie. Celui de Jannicke Systad Jacobsen, réalisatrice norvégienne de Turn Me On, Dammit !, même s’il montre le sexe comme un moteur de l’asociabilité et de la marginalité, fait comprendre que l’addiction au sexe n’a ni genre ni âge. Ainsi le scénario suit l’arrière-train d’Alma, une blondinette d’une quinzaine de printemps qui flippe trop d’avoir halluciné d’avoir peut-être vu le zizi de son pote, alors qu’elle se branle au téléphone avec des hommes adultes (la première scène du film est étonnante, mais je dois bien dire qu’elle m’a excité. Alma est allongée sur le sol de la cuisine, le téléphone lui aussi posé sur le carrelage, et elle gémit. La main glissée sous sa culotte, pantalon simplement ouvert, on comprend qu’elle appelle une ligne de téléphone rose plus tard dans le film) ou même sur son lieu de travail, un petit supermarché, en imaginant les crues avances d’un homme qui pourrait être son père. Encore une fois, père absent.                           C’est fou comme l’absence d’un être cher (disparition, mort ou simple invisibilité à l’écran) peut mener à la découverte du sexe et à la passion charnelle la plus torride. Dans un film comme Story Of Jen, la jeune fille campée par une attachante Laurence Leboeuf s’enfuit avec sex-symbol-d’antan-Tony Ward, un oncle totalement paumé sans objectif et troublant jusqu’à une certaine perversité. Outre le désert vert qui entoure sa maison, on sent de part et d’autre son désir de s’échapper et de fuir les codes d’une vie prédéfinie. Son père s’est donné la mort. Pourquoi ? L’univers dans lequel vit Jen est-il sain ou ne mérite-t-il pas qu’on y vive ? Ian, le rebelle est une des réponses possibles, et sa venue déclenche bien des troubles chez Jen. Même si pour la collectivité le séducteur est toujours le plus âgé lorsqu’il s’agit d’un(e) mineur(e), pour les adolescents la question reste ouverte car, passé un âge, ils ont conscience de leur corps, de son pouvoir d’attraction autant que des joies qu’il peut leur procurer, et la morale en prend un sacré coup. Pour appuyer cette interrogation, la voix-off de Jen, fantomatique dans un monde fantomatique, est un des outils érotiques du film car il séduit par sa douceur et son calme naturel.

   Ça arrive que les filles ne soient pas très malines et s’entichent de super-héros contemporains, et tant pis s’ils sont vieillissants c’est leur mystère qui l’emporte. Dans God Bless America, chef d’œuvre qui a mis son temps pour sortir sur nos écrans, Roxy envoie balader Frank qu’elle prend pour un vicelard. Puis le voyant descendre de sang-froid une peste de son lycée, elle lui saute littéralement au cou et ne le quittera plus jamais. Dans Super, chef d’œuvre passé sous silence, Libby tombe amoureuse d’un autre Frank ou plutôt de Crimson Bolt, son avatar de super-héros amateur. Dans ces deux films, la fille craque car cet homme représente le besoin qu’elles ont de se soustraire à la réalité sociale. Les adolescents, filles comme garçons, ont tous le besoin de se sentir unique, différent, pour avoir l’impression d’exister dans un monde qui dans ces films est injuste jusqu’à l’absurde. Et l’insoumission au modèle parental habituel qu’offrent ces Frank désespérés, tristes et révoltés qui prennent la vie à bras le corps, va de pair avec les excès de leur âge (excentricité, surconsommation et insatisfaction permanente). Libby jouée par Ellen Paige (Juno) et Roxy, campée par une inconnue qui ressemble à une de mes ex, ont le point commun d’être des filles hyperactives. Elles parlent beaucoup, sans cesse sur la pointe des pieds, elles s’attachent à la première aventure venue. Dommage pour elles, cet amour de l’interdit les mènera toutes deux à leur perte.

   Même si éphébophilie rime facilement avec tragédie, elle n’est jamais totalement vaine ou idiote. Dans Ghost World, Enid est une jeune fille sarcastique qui prend plaisir à se moquer des autres aux comportements de losers stéréotypées (n’oublions pas que c’est une adaptation d’un comics de Daniel Clowes). Alors qu’elle, malgré quelques maladresses dues à son énervement constant, avec ses goûts pointus tels que le rock indien et son style lesbo-geek sexy balance au monde un « je suis ouverte mais pas à n’importe qui ». Le sexe la préoccupe tout au long du film mais il est impossible de confirmer une quelconque activité sexuelle. Sa rencontre avec Seymour, un pauvre type pourtant bien charismatique (enfin ça c’est parce qu’il s’agit de Steve Buscemi). Si j’avais une fille, je ne voudrais pas qu’elle traine avec un type qui a un regard et des lèvres aussi bizarres. Enfin ceci n’est qu’apparence, et cela prouve qu’Enid va elle plus loin que les apparences. Et même si ses désirs et aspirations sont finalement niés par Seymour, même s’il se trouve qu’elle n’est qu’une petite fille naïve qui découvre la vie, on se dit que nous sommes tous des petites filles naïves qui découvrons la vie. Et on excuse Seymour d’avoir succombé. Ça ne fait pas de lui un pervers pour autant.

   Hesher : J’ai longtemps hésité à évoquer ce septième et dernier film, déjà car voir un threesome amoureux dans les personnages d’Hesher (Joseph Gordon Levitt), Nicole (Natalie Portman) et TJ (enfant-culte-Devin Brochu) prouverait que je suis réellement un psychopathe et qu’un jour j’étranglerai des jeunes filles, mais aussi car il n’y a qu’une seule scène de sexe dans ce film génial. Pour résumer c’est l’histoire d’un adolescent immature qui se fait projeter comme un caillou dans la vie après un accident qui a coûté celle de sa maman. Hesher, lui, est un adulte immature et tout ce qu’il possède est une camionnette, dont on voudrait crever tous les pneus pour aider le petit TJ. Et aussi casser les vitres avec des gros cailloux. Nicole c’est la fille immature qui a des rêves mais qui finit par ne plus croire en rien. Joué par une Natalie Portman qui a l’air d’avoir 20 ans, elle est un fantasme quasi permanent. Elle va donc briser le petit cœur en chocolat de TJ en sautant sur le pénis mielleux de Hesher le métalleux, et ça c’est vraiment dégueulasse. Car oui, il est avant tout question d’amour et de haine et de leur frontière étroite en lames de rasoir.

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