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Han Han Exquis

Illustration de

Coco Davez

Quand Emmanuelle propose à Emmanuel d'écrire ensemble sous la forme d'un cadavre exquis, ils ont pour seules informations : une fête foraine la nuit, deux hommes, une femme. Et pour seules consignes : 5 allers-retours en envoyant uniquement la dernière phrase de son extrait. Par textos. Voici ce qu'ils ont découvert en regroupant le tout.

 

 

Il faisait suffisamment chaud pour mettre une jupe mais pas encore assez pour oublier ses collants et sa petite culotte. Dommage. L’emmener à la fête foraine, c’était le meilleur prétexte que j’avais trouvé pour réussir à lui glisser la main entre les cuisses. Alors que je peinais à contenir l’excitation sous les boutons de mon jean, je la vois débarquer avec probablement le gars le plus insignifiant que j’ai vu de ma vie. En s’approchant, elle me sourit et puisque nous devons patienter avant le prochain tour, je prends le temps de lire que dans ses yeux, le passé n'est pas si loin. Je devrais probablement me mentir ou me dissimuler derrière une image que j'ai toujours voulu vivre, mais le frisson qui parcourt mon dos à chacun de ses pas est bien trop pressant. Je referme mon manteau et noue mon écharpe. "Vous êtes là!" Bien sûr qu'elle est là.

 

Je dois parvenir à l’éloigner de cet idiot. En passant un stand d’immenses sucettes multicolores auxquelles je donnerais volontiers le goût sucré de sa chatte, je me dis que le palais des glaces reste encore la solution la plus subtile pour essayer de l’étreindre dans le noir… Lumineux et obscur à la fois : le labyrinthe idéal pour y perdre « Jimmy No One » comme j’ai décidé de l’appeler. Alors que je paie nos trois tickets et que nous pénétrons dans « Les 1001 miroirs de Shéhérazade », je m’aperçois que ceux-ci portent un numéro. 2, c'est par cette porte que pour moi commence les méandres d'une traversée claustrophobe. Séparés, je la vois encore entre miroirs et glaces transparentes. La lumière est changeante, difficile alors de dissocier le vrai du faux, comment m'élever pour mieux l'approcher? Je tremble, je sue, je ne peux que m'imaginer reposer dans son cou en attendant que les spirales ne cessent. Le son s'éloigne, la lumière me flashe le corps. Et si seulement je n’avais pas envoyé bouler Suzanne la semaine dernière. Suzanne, c’est la fille du cinéma. On m’a jamais sucé comme ça. Je lui ai dit, elle m’a pas cru. Mais ses va-et-vient sur ma bite tendue, j’aurais pu mourir dans sa bouche un million de fois. Je l’aimais bien Suzanne. Une grande cinéphile. Mais, elle, rien à voir. Elle, je sentais que ça serait pas du tout cuit. Cette nana, c’est du high class. Alors je me suis dit que plutôt que d'être comme un de ces jeunes mâles en manque d'amour, je serai une nouvelle fois égal à moi-même, simple et honnête, laissant présager le jeu. J'aime le jeu de séduction, l'envie entêtante de repousser l'autre dans ses retranchements. Je la fixe, on a toujours dit que je fixais les gens, mais là je regarde au fond de ses yeux. Je regarde suffisamment loin pour lui écrire dans l'esprit les mots les plus sensuels que j'aimerais lui souffler dans l'oreille. C'est à partir de ce moment que la guerre commence, où elle rentre ou non dans le jeu. Elle aime ce défi, elle aime surtout prendre le pouvoir. Ca ne se passera plus de cette manière, j'ai changé et je peux serrer encore plus fort. Son autre est de dos, loin de se douter que je m’apprête à la saisir par la taille brusquement pour mieux la coller contre le mur du manège des auto-tamponneuses. Jimmy No One se retourne, mais nous sommes déjà dans la pénombre, ma main gauche sur sa bouche, l’autre à plat sur le bas de son ventre, coincée par ses collants. Elle ne porte pas de culotte. Je vois dans ses yeux brillants se refléter les lumières de la pêche aux canards, juste derrière nous. Je retire ma main gauche. Elle ne se débat pas, enfonce ma main droite plus loin entre ses cuisses et s’accroche à mon cou. Son souffle chaud et saccadé contre mon oreille me donne envie de la ramener chez moi mais le frisson de savoir que l’on peut nous surprendre à tout moment m’excite encore plus. Je ne crois n’avoir jamais autant rêvé revivre ses sensations. Face à moi à portée de mes doigts, son parfum m'enivre, ses lèvres me réclament, mon cœur à faim. Voici un moment maintenant qu'il est parti loin de nous, suffisamment pour se demander si je dois, si je peux, si je devrais. Je suis sage, calme. Elle me dit avec une rare douceur: "On avance ?". Elle aurait pu me dire que la bolognaise se mange avec des pâtes que j'aurais dit oui sans réfléchir. Ma tête se vide et je sens la voie lactée entière prendre possession de nos corps. Les yeux vers le ciel, les lueurs d’en haut se mélangent aux lueurs d’en bas. Enveloppés dans une couverture cotonneuse d’étoiles filantes et de guirlandes lumineuses, j’ai l’impression que mes pieds décollent légèrement du sol. Je perçois pour la première fois sans trop le saisir encore ce que veulent dire les mots : tu-me-fais-tourner-la-tête. Alors que nous flottons, à moitié nus, les néons des manèges et les cris des enfants s’évanouissent. J’aperçois Jimmy No One qui marche sur le chemin de terre s’éloignant de la foule, les mains dans les poches.

 

Soudain, elle me dit: "Je suis ce que tu auras toujours voulu aimer."

Est-ce réellement de cet amour que j'ai toujours rêvé? Suis-je prêt à l'aimer à nouveau? Depuis des mois je ne pense qu'à replonger. J'ai l'impression d'entendre le plus faible des addicts. De grands voiles encombrent mes yeux, niché contre sa poitrine je sens que le poids des mes sentiments est insoutenable. J'ai peur maintenant que j'ai contre moi l'unique, l'inaccessible, mon idéale.

 

Je t'embrasse du bout de mes lèvres, sur les flancs de ton cœur, je te dis au-revoir.

 

 

                                                                                                                                              

par Emmanuel C // Emmanuelle D

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