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Une Nouvelle mélancolique de Do Marshall

HOMETOWN​

   Je prends le large. Je m'éloigne de tout en revenant aux sources. Vous rêvez de prendre un sac et d'arrêter de réfléchir. Vous prenez la voie des songes, vous le faites avec ce type liquide qui vous regardait l'autre soir au bar et vous ne savez même plus vraiment comment vous en êtes venus à ça, et pourquoi bon sang il est là.


   Dans la voiture et j'essaye de conduire mais ce n'est pas facile, parce qu'il caresse mes cuisses, de plus en plus fort, il les griffe à travers mon jean, mais je ne veux pas m'arrêter de conduire.
Vous y êtes. Pétri de certitude, vous détestez cette ville ; ces années de biture, de petits copains foireux et de plans cul qui déroutent. Vous avez emmené vos menues affaires, soigneusement choisies, ensemencé la voiture, vous partez, parce que vous êtes plein et que vous allez exploser, tout en sachant que là où vous retournez se sont joués, peut-être, des drames intimes aux conséquences sociales.


   Le garçon liquide qui sert mes cuisses, je m'apprête à le présenter à des amis, probablement même à des types que j'ai aimés - j'aime fort et vite tout le monde, alors oui, ça arrivera. Croiser des regards, il y aura trop de bouteilles et de verres et je ne me souviendrai plus vraiment de qui j'ai connu. Ou bien tous les visages auront changé.


   Vous étiez là lors de cet anniversaire, un peu la même ambiance, et c'était pareil, les corps se touchaient mais on ne savait pas bien qui était qui, qui était seul. Vous regardez maintenant les filles aux cheveux longs alors que, plus jeunes, elles les portaient courts à la garçonne, citant sans surprise Jean Seberg en exemple en étant beaucoup moins jolies, beaucoup plus fines et naïves, beaucoup moins élégantes, mais peu importe, l'intention était là. Mais de l’adolescence, il ne reste que le désespoir de Jean Seberg en fin de compte dans les yeux de ces filles.


   J'arrive avec le garçon dans ma famille, on y dormira après avoir dansé. Nos cœurs battront ensemble, il agrippera ma jambe, son doigt glissera dans mon sexe. Peut-être. Je reconnais chaque angle, chaque croisement, les carrefours sont inscrits dans le sang de mes pas. Je suis rentrée plein de fois, pleine lune ou première heure du matin, en empruntant des ruelles peu éclairées, des avenues aveuglantes, accompagnée ou non, mais maintenant je sais exactement ce que je vais faire ce soir.


   Vous n'auriez sans doute pas fait pareil. Ce n'est pas une vie de penser aux différentes options et de choisir toujours la plus sale, celle dénuée de l’espoir que vous avez jeté aux orties. Dans la longue liste des trucs que vous ne feriez pas, sans doute embrasser le plus gros alcoolique du bar, rentrer chez lui, baiser avant, dans une ruelle dégueulasse en étant persuadée que personne ne voit. Ni dans un couloir d'immeuble, entre deux bagnoles, jamais, jamais.


   J'ai choisi d'être guerrière. Je ne suis pas seule cette fois. Il y a ce garçon qui sert ma cuisse, et quand j'arrive à la maison, et que j'installe les affaires avant de partir avec lui, et que je sais que dans chaque allée obscure il y a quelques souvenirs, et que ce soir, je vais les croiser, ces regards qui me regardaient par derrière, je pense seulement à de la bière coulant dans ma gorge.
J'ai pas le sens du rythme. Le garçon liquide essaie de me faire danser. Je regarde autour de moi. C'est presque tendre, amical.
   Vous êtes chez vous. Le monde vous appartient depuis ce point dans l'espace où vous vous trouvez.

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