
Musique pour passer l'hiver part.2

Blue Hawaii – Untogether
La fille de dos dans son bureau et celle qui planque sa main entre cuisses, la lève la replonge si soudainement que je sursaute, en face dans le tramway ont ce point commun de demeurer inaccessibles, me laissant là avec l’intime satisfaction du fantasmeur. Untogether, c’est ne pas être ensemble, ou être tellement avec l’autre, comme présupposé. Laiteux, ce nouvel album de cette valeur sûre néanmoins mésestimée de la scène canadienne est le plus cunnilinguial de cet hiver. Une longue caresses buccale qui réchauffe, se fait profonde, et qui grimpe les sommets des rideaux en bon alpiniste d’intérieur. J’avais un pote qui disait chant grégorien pour parler des gémissements des filles pendant les premières séances sexuelles de la fin de la puberté. L’influence Dead Can Dance y croise celle d’un R’n B de blanc-bec. L’image qui me vient à l’esprit, c’est un couple d’ados qui se sucent dans un pavillon. Ce qu’un autre pote appelait un quartier à partouze, ce qui bien qu’étant vrai est moins chou que le chant grégorien et l’amour naissant. Quand je me réveille et que tout va bien je pousse de petits cris, comme un oiseau. Je m’étire au fond du lit, et je mets le nouveau Blue Hawaii qui est mon horoscope. (CL)

PVT – Homosapien
J’écoute cet album en pensant à toi. Mon prince, ou mon tyran. C’est difficile d’écrire quelque chose de potable quand on passe derrière lui. Pourtant, il n’est pas bien sévère. Il sait percevoir l’émotion qui est en moi quand j’écoute PVT. Mon humeur change presque instantanément. Je passe de l’espoir à la peur, et de la peur à l’excitation. L’album m’intrigue, l’album me déçoit. Cold Romance se glisse dans mes pensées et je me demande si la voix de Richard Pike se marierait avec la mienne. Malgré cela, mon prince-tyran comprend tout à fait qu’à 20 ans, on ne peut pas être aussi douée que lui. La seule chose dont je ne douterais jamais à présent, c’est la sensation que j’ai entre les omoplates quand j’écoute Homosapien. Ca fait du bien dans l’échine et ca fait un peu mal dans les intestins. Ce côté bestial, primitif est réel, les sensations réelles ça monte à la tête. Néanmoins, il manque un truc dans cet album, que seul le mot « célibat » pourra comprendre. (AS)

Esben & The Witch - Wash The Sins Not Only The Face
Les pêchés sont-ils ces petits prisonniers de mes yeux qu’une fois sur trois je n’arrive pas à ôter en passant de l’eau sur mon visage à 11h36 ? Esben & The Witch participent au sentiment de culpabilité que procure l’excès de rêves érotiques quand, sortant de ma chambre, deux larmes me coulent sur les joues. On dit que la mode est à l’ésotérisme, cette espèce de foi nouvelle, finalement athéiste, et dotée d’un nombre providentiel de prophètes souvent aussi chéper et dark qu’une bande de grunges dans un monastère. Tout pour me plaire ! Une brune aux cheveux longs, raie au centre. Je me croirais de retour à l’ère où mes amis me donnaient leur bénédiction pour aller baiser. J’ai l’impression que c’était hier ; cette abondance de rythme fait de ma vie un capharnaüm. Je me souviens quand j’ai appris ce mot en élémentaire. C’est pas anodin. J’avais une coupe de cheveux sympa, illogique mais bon en calcul rapide, et je savais ce que boulodrome voulait dire alors que je n’en avais jamais vu. La naissance d’une religion qui occulte l’amour tellement obsédée qu’elle est par les fantômes et la réverbération. Dans ce capharnaüm, tous ces instants passés à écouter le disque d’Esben & The Witch, ça revenait à changer le soda en eau fraîche. Et le divan en bain moussant. (CL)

Pantha Du Prince & The Bell Laboratory - Elements Of Light
Pantha du Prince fait partie de ces rares types qui ont le droit de continuer de faire un peu la même chose autant qu’ils veulent. Il est bien difficile d’imaginer un Pantha Du Prince triste, déçu, frustré, ou désespéré, tant il pousse sa musique, projet de vie, dans les retranchements de sa matrice originelle façonnant notre imagination et déterminant notre façon future de voir le monde ; tant au fil des années et des rencontres (Animal Collective et maintenant cette joyeuse troupe danoise), il se trouve, se dévoile toujours comme si la peau n’était qu’un brouillon. Si un jour, il s’arrête, se retire au fond d’un château de Bavière, serai-je le seul agenouillé à le supplier de nous revenir ? J’étais un enfant égoïste mais plein de rêves, et même si j’ai tout oublié en apparence, je suis au fond ce fanatique de la beauté, puriste de la nouveauté, saccageur d’ennui, un fainéant de la honte. Comment pourrait-il en être autrement. Pourrait-il ne pas être heureux ? Et nous avec lui, incapable de changement. Le bonheur est une étoile brillant sur une autre galaxie qui réchauffa naguère d’autres êtres à qui nous nous efforçons de ressembler, mue après mue. (CL)

Grouper – The Man Who Died On His Boat
La musique démarre. A peine fermons-nous les yeux que nous nous savons en train de descendre une rivière sur une barque de fortune. Nous sommes allongés et laissons nos doigts jouer avec la surface de l'eau, emplis de calme et de volupté. La lumière crue tombe sur les blés ambiants, pas l'ombre d'une vie humaine. Le vent est le seul témoin de notre existence. Et puis la voix élégiaque de Liz Harris apparaît à l'horizon comme une lueur diaphane qui nous séparerait des ténèbres délétères. On ne se méfie pas, on se laisse finalement emmener. C'est vrai qu'il réchauffe ce timide rayon. La voix d'outre-tombe était pourtant un piège hypnotique, un chant de sirène. Les ténèbres triomphent, inexorables; la toile se tisse et nous voilà prisonniers. Les bruits étranges de cet album hanté semblent nous encercler, nous sommes à sa merci. Elle se tient désormais face à nous. On est presque sûr de l'avoir entendue parler à l'envers. Son regard glace le sang. Tout cela est l’œuvre du démon. Laissons-la nous dévorer le cœur. Jamais la mort n'a été si belle. (SPS)

Ducktails – The Flower Lane
Ecouter The flower Lane, c’est aller dans un bar de hippie. Claire m’accompagne, et Claire commence à danser. Sa peau est très pale, et son rouge à lèvre rouge dépasse un peu de la surface où normalement on l’applique. Flower lane, toucher du bout des doigts le mur en velours vert émeraude. Claire lève ses mains délicates vers le plafond gris acier, ses yeux se ferment, et se laisse bercer par le rythme planant et irrégulier. Flower Lane, lever les pieds du sol, et les laisser dans le vide avec une confiance aveugle. Louis m’invite à danser, je l’invite à danser aussi avec Claire. Je n’ai pas besoin de choisir l’un d’entre eux. Flower Lane, aimer les garçons et aussi les filles. La voix du guitariste de Real Estate qui se lance seul dans un projet, à la voix douce et virile. Pénétrante et décalée pour me faire comprendre que j’aime la douceur des filles et la virilité des garçons. Flower Lane, le droit d’aduler son identité sexuelle avec une touche de fraicheur certaine. (AS)

Nosaj Thing – Home
Chaque fois cette détonation, ce même rond canon me dévisage, me coiffe au poteau, me défigure, me scalpe. Je ne me retrouve point projeter en arrière aux pieds de mon collègue à-découvert, le visage en lambeaux de chair, mais plutôt le poing ouvert sur le bureau qui m’entoure à 50% en gage de ma sincère contre-résistance. Porte qu’elle laisse ouverte, je sens le vent s’engouffrer entre mes doigts, sous mes bras et le pouls de mon poignet. Tout comme cette fille, Nosaj Thing fut de ces choses à surveiller de près, chaque mouvement faisant des remous dans ma cervelle « liqwide », et puis un jour, l’habitude, lassitude, je lâchai du lest. L’oubli me plongea dans une ère néo-grunge semi mensonger, et je perdis foi. L’électronica était devenue une vieille statue décrépite, un tableau qui s’écaille, un dieu tout-puissant de poussière. Des églises tombèrent dans ma ville, et c’est sous l’eau qu’on se sent vivant, alors qu’on étouffe et que nos sens, un à un, s’évanouissent. Un étouffement en provoquant un autre par voie de conséquence, je me retrouvai sur le coin du lit à bout de souffle, prompt à la consumation d’un cierge, prêt à allumer le feu de la sagesse. Un feat. de la chanteuse de Blonde Redhead et tant d’attentions bienveillantes. Il y’a une similitude entre les instants d’écoute de ce disque et les souvenirs de cette collègue qui décalait ses pauses. La vérité vraie, c’est qu’une maison avec cheminée et Nosaj jouant dedans pour mon birthday serait aussi accueillante que son petit cul. (CL)

Beach Fossils – Clash The Truth
Ceci est une chronique ferroviaire. J'ai toujours trouvé les trains très poétiques, presque euphoriques. Un voyage Paris-Lille le temps d'écouter deux fois Clash the Truth de Beach Fossils. Mais voilà, j'hérite malgré moi de la place 666 et cherche dans la musique un talisman salvateur. Le mot TRAIN est prononcé dès le premier morceau de l'album. Le destin avant tout ! Je m'imagine donc le Nord-Pas de Calais comme New Jersey local. Il ne nous manque plus que notre Bruce Springteen : la pop comme dernier rempart face à tous les aléas de la vie. Une certaine tristesse colle aux gouttes de pluie sur les vitres. Mais le groupe de Brooklyn, sorti sur l'usine à bon goût Captured Tracks, confirme que le soleil se lèvera tôt ou tard. La tension est palpable, mais la joie surgit parfois de manière fugace, soutenue par les rythmes efficaces et guitares mélodiques. La musique est plutôt rigide, répétitive comme mon voyage. Et comme dans le wagon, la catharsis est contenue, on ne peut pas s'en échapper. La présence de la langoureuse Kazu Makino de Blonde Redhead sur In Vertigo et le chant quasi-religieux de Burn You Down m'ont protégé. J'arrive à bon port. Beach Fossils y est pour quelque chose. (SPS)
AS = Amandine Steiger
SPS = Sean Paul Sartre
CL = Charly Lazer