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Les Disques Lumières

oOoOO – Without Your Love

La nuit est tombée. Je me retrouve dans le club, une ancienne cave désaffectée. La pièce est baignée d’une fumée épaisse et menaçante. L'ambiance oscille entre sensualité trouble et inconfort. OooOO y joue de la musique électronique éclairée à la bougie. Il est entouré de sorcières qui parlent d'amours déçues. Non loin, des gens pâles à en mourir dansent nonchalamment. Ils semblent bouger sans but précis, la tête torve, les yeux voilés, la peur au ventre. L'ambiance est moite. Il règne une mélancolie assourdie. Tout le monde a envie de baiser mais ça ne fait que les rendre encore plus tristes de leur sort. On se frôle mais on ne se touche jamais. Ils ressortiront léthargiques, un goût âpre dans la bouche. Déjà le crépuscule n'est plus qu'un souvenir. Le jour se lève. Ils s'en vont chacun de leur côté. Sans amour. (SPS)

Sam Amidon – Sunny Bright Youth

Tous, ils marchent dans la forêt, à la recherche d’un trésor. Dans leurs mains, les yeux grattent, puis ce sont des bols remplis à ras-bord de céréales qui prennent un bain dans un lac lacté. Le sein prisonnier, une fille se réveille à ses côtés, il la confond, prononce son nom, se trompe donc. Les oiseaux chantent, les jeunes gens dorment, on sait que c’est le début d’une grande journée quand le soleil se lève tôt sur la vallée. Ils titubent, certains tombent comme les feuilles des arbres à la saison prochaine, certains récitent des poèmes qu’ils extirpent de leurs souvenirs raclant le fond de l’insomnie. Un couple se forme dans un buisson. Des bouteilles un peu partout empêchent d’avancer. Les lèvres enserrent les goulots comme autant d’embrassades retenues et gaspillées. Des garçons mieux élevés qu’un boyscout ont amené de quoi se biturer, ils rient à gorge déployée. La parité est respectée. Il serre la main des plus ponctuels en les remerciant de leur présence. Tout est un peu poussiéreux, il passe un coup rapidement sur les meubles. Il ouvre la grande porte, la lumière entre. Il prend le car, seul pour la première fois. Il pique la clé de la résidence secondaire, sur la côte, près de la forêt des pins. Il pianote sur l’ordi. Il a une idée. Ils sont dans la voiture qui démarre faisant crépiter les graviers comme des bonbons sur sa langue. Ses parents lui annoncent qu’ils vont voir grand-père à l’hôpital après le déjeuner et veulent savoir s’il les y rejoindra. Il mange, sa peau brille comme un pharaon, mais il ne se sent pas pharaon.  (CL)

Gold Panda – Half Of Where You Live

Trop dans les nuages. Les nuages pourquoi ils sont gris au mois de Juin d’abord ? Ce n’est pas censé être bientôt l’été ? C’est trop terre à terre d’être accroché aux saisons de toute manière, c’est con. On ne parle que de ça. Et du billet de 5 euros ridicule. Gold Panda sort son troisième album ce mois ci, c’est plutôt de la suite de Lucky Shiner qu’il faut discuter. Tout de même, ça faisait trois ans. L’album fait chez lui, pour ne pas être écouté chez soi. Je le fais quand même dis. Je me sens emprisonnée, parce qu’elle me dit que les gens rationnels et terre à terre ne doivent pas beaucoup m’aimer. Je suis dans un cercle de questions de paumés,  j’aimerais qu’on me guide avec une lampe de poche. Je mange du gruyère en sachet et des pâtes crues, parce que je me convaincs parfois que se faire à manger c’est pour les gens coincés. Ce genre de personnes heureuses en amour, trop croyantes de tout et surtout de tout ce qui est débile. Et qui mangent bio. Dans mon immeuble de parigots, je mets bien fort et fort bien le nouvel album de Gold panda. Je n’ai pas envie de faire chier mes voisins, parfois je réceptionne même leurs colis. C’est juste qu’il faut avouer que je m’aime moi avant les autres. Half Of Where You Live m’aide à me sentir bien dans mon esprit et l’avouer ça m’aide à trouver la lampe de poche. Celle qu’on met sous le compteur quand les plombs sautent. C’est d’ailleurs stupide, l’enchainement des pistes 4 et 5. Mais Junk City II est une jolie chanson, elle me donne envie de me dandiner prés de ce beau garçon tatoué, qui a les mêmes baskets depuis 5 ans : son côté rationnel. En même temps, il voit des formes dans les nuages. Et moi… dans son pantalon.  (SA)

Future Bible Heroes – Memories Of Love, Eternal Youth And Partygoing

Comment aurais-je pu, dans ce numéro lumineux, (anti)religieux, métaphysique, passer à côté de ce gros disque du fat mais jamais fade Stephin Merritt, mentor spirituel et artistique de mon colocataire Gilles ? On y retrouve dans l’ordre chronologique (à noter dans un monde où la nouveauté prédomine souvent la qualité) 3 albums façonnés sur 15 ans de temps, voire plus, par lui et ses acolytes. Cette chronique est donc une espèce d’hommage à l’artiste qui ne peut même pas tourner avec son groupe car il a mal aux oreilles. Je le vois bien, faire signe à ses amis qui pleurent dans le bus et tendent des mouchoirs par la fenêtre pour le saluer. Comme dans Pee Wee’s Big Adventure, oui. C’est triste, mais Stephin n’est pas que rigolade. Ce type, qui me rappelle de plus en plus Owen Ashworth aka. Casiotone For The Painfully Alone, a écrit un album indispensable (Gilles vous le dirait mieux que moi, mais il est en train de composer avec ses potes le nouveau/futur Shiko Shiko) à toute culture indie : 69 Love Songs. Tout est dans le titre. alors quand on ajoute qu’il voue un culte certain à la BO de Gorge Profonde, à la pop française, et même, il se peut, aux kilts, on est aspirés dans un tourbillon, et direction le futur, ou un truc qui ressemble au passé, mais en mieux ou en pis. Comment savoir ? Stephin nous propose d’en faire l’expérience. L’intégrale de l’amour, de la jeunesse, en route pour la fête. Même si tout ça peut paraitre un peu terne, il reste bien une bougie quelque part ? (CL)

Austra – Olympia

J’écris torse nu, je fais sécher les brûlures intentionnelles de mes côtes. Je me suis souvenue que tout avait commencé parce que j’avais croisé un chat noir. Ma mère m’a appris comme ça. On croit ce qu’on vous dit quand vous êtes enfant, on croit ce qu’on vous raconte quand vous vous êtes fait larguer un Vendredi 13.  Austra me donne envie de courir dans le boulevard à moitié éclairé, le torse tout maigre et nu pour faire sécher plus vite mes brûlures. Ces voix angéliques me rendent un peu timbrée, je me demande si ça vaut vraiment le coup d’aimer. Etre aimée autant que j’aime le rythme-passion et la veste rose de la chanteuse d’Austra. J’en suis même venue à me dire qu’ils avaient de la chance que je les aime autant. Les cheveux détachés aux pointes roses couleur de veste et mon dos tout de traviole, j’ai envie de ramper sur ce même rythme-passion. Ramper sur le chat. D’avaler sa voix insupportable force démentielle. Celle d’Austra.  J’écoute la démence, j’écoute Painful Like. « Olympia » est comme la course après un chat noir un vendredi 13.

Me frotter contre son pelage comme une chatte en chaleur, gratouiller son cou du bout des griffes.  Se frotter contre la poisse. Lécher d’une langue rappeuse et amère mes blessures. Ce chat noir est apparu comme un poison que je bois à la pipette pour éviter d’être sevrée. Pourtant quand on est blessée une fois, on comprend qu’il ne faut pas recommencer. Mais sur Austra, le chat noir, lui, il s’est bien brulé les coussinets sur mes côtes.  (SA)

These New Puritans – Field Of Reeds

Ce n'est pas le genre de la maison de se la jouer puritaine, mais nous ferons exception pour le troisième album des divins Anglais. Field of Reeds est court mais intense. Faussement simples grâce aux vents austères et au piano introverti, les mélodies cassées, un peu bancales, sont entêtantes comme un jardin de fleurs en été. Le groupe opère un beau virage esthétique. Il a perdu de son agressivité, remplacée par un calme presque gnostique à la beauté étrange. Les chansons coulent comme une source de lumière immuable.

Ces Nouveaux Puritains commencent à mériter leur nom. On les devine moins hédonistes et plus dans le souvenir. L'album tout entier est hanté par l'érotisme vaporeux de la mémoire. Mystérieux comme le désir. Parfait à écouter au retour des vacances, allongé dans le noir en se remémorant la beauté diaphane d'un sourire sur la plage, une fesse apparue quand le vent soulevait une jupe, un rire indolent entendu quelque part au loin. Sous les roseaux, la plage. (SPS)

Tricky – False Idols

J’ai l’impression d’écouter un Dieu moderne. Tricky sommeille en nous et nous nous mettons à  genoux pour le destin. Est-ce que croire au destin c’est croire indirectement en Dieu ? Parce que quand il m’arrive quelque chose, je me dis que le destin ne fait pas n’importe quoi, et que la vie n’envoie que ce que je peux supporter. Supporter cet album convenablement, ce serait baiser dans une cage, dans le noir, pleurer si on est frustrées. Tricky fait mal, il a toujours fait mal avec ces dark chansons et sa sensualité malsaine. Mais si le Diable voulait être Dieu, puis que Dieu voulait être de temps en temps à nos côtés, je pense qu’il le choisirait pour emballer de jolies nanas, je veux dire de tristes nanas. Nothing’s Changed. Dès qu’on entend la voix sombre de l’homme qui venait de Bristol, mon plancher pelvien durcit. Puis arrive Francesca Belmote. C’est Elle qui me parle au creux de l’oreille sous ces violons. Si croire en Dieu c’est croire en Tricky, alors je suis prête à écouter False Idols tous les dimanches matins comme une petite catho. Mes chaussettes hautes et hot, de femme enfant provoc. Je cherche le Salut. Légère, de la dentelle tombant sur les épaules frêles des jeunes filles aux nouveaux péchés sexuels. Nous toutes, au rouge à lèvres trop rouge. Croire au destin, en Dieu, en Tricky. Dans une pièce froide mais spirituelle. Ce qui m’importe c’est cette douceur violente et malheureuse qui se tapisse sur ma nuque et me donne envie de me mettre à genoux pour prier quelque peu. Je chuchote des petits mots d’amour et de vie, je dis que je suis tout à la fois. Surtout une servante de Tricky, qui ne me lavera jamais de mes péchés. Certainement pas False Idols en tout cas. Dimanche midi. Je me plonge à nouveau dans la luxure. Does It.  (SA)

Hyetal – Modern Worship

Cet album est ma lumière au fond de la nuit. Même si on peut croire que dans chaque numéro, c’est une habitude, il y’a toujours un album pour être cette lumière, celui-ci ne ressemble à aucun que j’ai pu citer préalablement. Il est comme une pierre précieuse sur laquelle on regarderait avec des yeux d’enfant un lézard dandiner du cul avec le vice de vouloir l’attraper. Même si ce cliché de l’enfance pyrénéenne n’a ni queue ni tête, la musique de Hyetal est pire que moderne, et le culte que je lui porte en aveugle sensible n’est peut-être qu’une chimère prédite par un moine illuminé quelque part dans une de ces montagnes que j’ai regardées avec mes yeux d’enfant comme je regarde actuellement l’écran, je suis néanmoins persuadé que des sons sortent de cette bécane qui me feront pleurer, danser en pleurant, et aimer mon prochain comme si c’était la pire bonasse de mes rêves qui mènent inéluctablement à la pollution nocturne. Il a une force incroyable. Il m’aplatit, je me sens comme cette petite chose que les montagnes se transformant en lézards géants vont manger et déglutir, je serai juste le trognon d’une pomme. Un jour, aujourd’hui, je suis humain, moderne, éveillé, magistral comme l’aimant-à-bonheur. (CL)

Chroniques par Sean Paul Sartre, Charly Lazer et Steiger Amandine.

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