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Le sexe et le porno,

c’est un peu comme l’oeuf et la poule.

Lucie Blush

Han Han : Tu as déjà pensé à t'exprimer via d’autres supports que la vidéo ?

 

Lucie Blush : J’ai commencé par m’exprimer sur mon blog welovegoodsex.com, où j’écris presque quotidiennement à propos de sexualité, féminisme, films, réalisateurs et réalisatrices… C’est par ce biais que j’ai eu l’envie et l’inspiration de faire des films et j’ai le sentiment que cela m’a aidé à trouver mon style et ma voix pour ensuite mettre le doigt sur les choses que j’avais envie d’exprimer dans mes propres travaux.


 

Han Han : Comment choisir les actrices et les acteurs : on commence par oublier les soi-disant corps parfaits, la quête de la grosse bite, et on privilégie les personnes séduisantes qu’on peut rencontrer dans la vie de tous les jours ?

 

Lucie Blush : C’est plus ou moins ça en effet. Le plus important est de trouver des personnes qui comprennent le projet et sont motivées par l’idée de partager une nouvelle expérience et de passer un bon moment. Je fais du porno qui me ressemble et c’est pourquoi je suis constamment à la recherche d’acteurs naturels pour développer des personnages que je pourrais rencontrer dans la vie réelle.


 

Han Han : Comment réussir à filmer avec autant d’authenticité des scènes que l’on pense les moments forts de l’intimé des protagonistes?

 

Lucie Blush : J’en parlais justement hier avec l’actrice qui va tourner dans mon prochain film. Il s’agit d’oublier les caméras et de donner aux acteurs le comfort de se perdre dans le moment, sans pression d’angles ou autres aspects techniques. C’est à mon équipe et à moi-même de nous adapter à la situation, c’est pourquoi il est aussi très important de travailler avec des personnes en qui j’ai confiance, qui comprennent ce que je veux et avec lesquelles je peux facilement communiquer pendant le tournage, sans perturber les acteurs. J’encourage la spontanéité sur les tournages, soit pas de script précis pour les scènes sexuelles, et il est impossible d’anticiper la connection que deux personnes vont avoir devant les caméras. Cet élément de risque fait toute la beauté du projet car tout est naturel. C’est pour moi l’aspect le plus excitant du tournage: voir comment les acteurs apprennent à se connaître et le challenge de réagir vite pour m’adapter à eux et capter l’intimité sur le moment.


 

Han Han : Quels fantasmes souhaites-tu mettre en scène dans tes prochains projets?


Lucie Blush : J’aimerais beaucoup trouver des hommes qui veuillent tourner tant avec des hommes que des femmes, pour un trio par exemple. L’industrie porno n’est surprenamment pas très ouverte à cause des tabous sur le sexe anal ou entre hommes hétéros. Cependant ma plus grande envie n’est pas forcément liée à un fantasme précis mais au désir d’insérer plus de dialogues et d’histoires pour construire de réels personages.


 

Han Han : Féministe, autrement dit activiste pour les femmes, respectée et douée. Penses-tu que beaucoup d’hommes aiment tes films ?

 

Lucie Blush : Je pense que oui, car plus de la moitié de mon trafic et des mes souscripteurs sont des hommes. Je reçois également de nombreux messages d’hommes qui sont heureux de trouver une nouvelle fraîcheur dans le porno. Ça ne m’étonne pas vraiment, car le porno féministe répond à un problème qui affecte les femmes mais aussi les hommes, en offrant une alternative aux clichés ambulants du porno mainstream. De nombreux hommes ont eux aussi envie de se retrouver dans les films. Je pense aussi qu'ils ont peut-être moins de tabous à l’heure de regarder du porno et ils ont peut-être moins de gêne à m’écrire, mais ça me réjouit toujours de recevoir un message de la part d’un homme qui ne se laisse pas intimider par des images de femmes fortes et indépendantes.


 

Han Han : Le “porno pour Femme” tend à se démocratiser et à se normaliser, tu fais partie de celles qui le prouvent. Le sujet est néanmoins encore tabou pour beaucoup d'entre nous. Comment réagis-tu à ça?

 

Lucie Blush : Tout d’abord, je ne pense pas qu’il y ait un porno “pour femme” et un autre “pour homme”. il s’agit plutôt d’offrir des alternatives pour que chacun puisse trouver son bonheur. Toutes les femmes sont différentes et il n’y pas de fantasmes féminins et de fantasmes masculins. Depuis que j’ai commencé mon projet, j’ai beaucoup parlé avec mes amies et j’ai pu constater qu’en effet, certaines femmes aiment le sexe romantique au coin du feu, d’autres se masturbent en regardant du “rough sex” sur youporn et d’autres matent du porno gay. Je suis personnellement adepte du “quick and dirty”. Un “porno pour femme” sous-entend que les femmes sont une espèce différente, tout comme l’étiquette “female-friendly” qui nous traitent carrément de gamines trop sensibles. Le sujet est encore tabou car beaucoup ne comprennent pas le sens du terme “féminisme” et adapte la définition à leur sauce, en saupoudrant d’ignorance et de paresse intellectuelle. Cependant, il y a un vrai désir de renouvellement du “pornorama” et je pense que cela primera sur les préjugés et autres réductions.


 

Han Han : Tu es une fille transnationale, et justement à l’étranger, quelles différences remarques-tu avec la France?

 

Lucie Blush : La France a une vraie sensibilité envers un porno plus artistique et authentique, mais il y règne encore une grande méconnaissance des libertés sexuelles. Beaucoup de français, même ceux de ma génération, ont encore des vues très traditionnelles voire rétrogrades de la sexualité, et surtout de la sexualité des femmes. Nous devons être déterminées et intelligentes, mais pas trop, mais aussi belles, minces et délicates. En Espagne, il s’agit plus d’un rejet de pratiques considérées “hors-norme” et un retour aux valeurs sûres. Un coup de missionnaire le samedi soir et on n’en parle plus. Bien sûr il y a aussi de nombreuses personnes ouvertes d’esprit, partout en Europe, et en voyageant j’ai pu rencontrer des français curieux et ouverts à une conversation libre d’idées préconçues.


 

Han Han : Penses-tu que le porno peut avoir des vertus pédagogiques? Peut-on croire que grâce au porno certaines pratiques sexuelles dans les couples ont évolué?

 

Lucie Blush : Bien sûr! Le sexe et le porno, c’est un peu comme l’oeuf et la poule. Est-ce que le porno n’est qu’un simple reflet de notre sexualité ou est-ce que le porno nous influence dans nos pratiques? Personnellement, je pense que le porno a un impact sur nos vies, simplement car il n’y a aucune autre façon de voir ce que les autres font. Nous avons grandi dans une société où notre sexualité est réprimée depuis le plus jeunes âge et nos têtes sont remplies de pressions, de normes et d’incertitudes. Nous n’avons pas de réel dialogue sur le sexe alors notre seul recours est de regarder du porno, et je trouve ça génial. Cependant, le porno fait ces dernières décennies n’a rien avoir avec ce que nous vivons au quotidien et ne prend pas en compte les réalités de la sexualité aujourd’hui : capotes, relations polyamoureuses, online dating... Le porno est un moyen de communiquer et j’essaie moi-même de donner mon propre point de vue, non pas dans un effort d’éduquer les gens mais de leur montrer une perspective parmi les autres.


 

Han Han : Le porno est de plus en plus accessible pour ne pas dire omniprésent avec internet. A côté de ça on assiste à une recrudescence conservatrice dès qu'une œuvre évoquant le sexe, même de façon originale et ludique, apparaît. Je repense notamment à de petites vidéos d'Arte Creative faussement destinées aux enfants et expliquant quelques pratiques sexuelles plus ou moins habituelles de nos contemporains. J'avais lu des commentaires particulièrement choquants de la part de personnes choquées, ce qui est un comble. Arte cette fois-ci avait répondu par un horaire nocturne, bloquant l'accès au contenu de jour, et censé rassurer les puritains. Qu'est-ce que ça t'inspire?

 

Lucie Blush : Nous vivons dans un monde où les femmes doivent se cacher pour allaiter leur bébé car notre téton est considéré offensif, où l’éjaculation féminine est interdite dans le porno digital par exemple au Royaume-Uni... Je pense qu’il y a une claire division entre un mouvement qui retourne aux valeurs de nos parents et grands-parents : boulot, mariage, maison, bébé(s) et un mouvement à la mentalité plus “digitale” et assoiffé d’honnêteté, devant l’hypocrisie de la société. En tant que pornographe, je combats tous les jours contre les services de hosting qui me demandent de flouter mes images et les réseaux sociaux qui censurent mes articles et mes vidéos même quand elles sont non-explicites. Cela ne me donne que plus envie de faire du porno et je pense que cette censure croissante fera que les gens seront encore plus curieux de trouver des manières alternatives de voir et parler de sexe.


 

Han Han : Tes films peuvent-ils éduquer des adolescents?

 

Lucie Blush : J’espère, oui. Toutes ces nouvelles règles contre le porno ne font que révéler le problème: si on a tellement honte de notre porno qu’on ne supporte pas que les ados y jettent un oeil, c’est qu’on doit faire un meilleur porno, au lieu de le censurer totalement et de condamner les jeunes à plonger dans les Youporn et autres. J’espère que les ados qui tombent sur mes films y verront quelque chose qui les prépare plus efficacement à leur vie sexuelle et qui renforce leur confiance en eux-mêmes. Je ne sais pas si ça les éduque mais en tous les cas ça leur offre une perspective différente.


 

Han Han : A toi! Quel fantasme pourrais-tu nous souffler au creux de l’oreille?

 

Lucie Blush : Hier j’ai pensé à une scène intéressante qui pourrait montrer une femme pendant une vidéoconférence professionnelle. Son mec intervient subtilement sous la table, la forçant à rester concentrée et à présenter son projet à ses collègues pendant qu’il l’amène à l’orgasme...


 

Han Han : Et cette femme sur le point de jouir, ce serait toi?

 

Lucie Blush : Oui, en fait tous mes films sont basés sur mes fantasmes personnels. J’essaie d’apporter une perspective vraiment intime à mon travail donc quand je réfléchis à une idée de scène, je m’inspire de mes propres envies! Par déformation professionnelle peut-être, mes fantasmes se transforment instantanément en possibles films et je prends plaisir à les développer et imaginer comment je pourrais les tourner et les rendre réels. On peut donc dire que je suis la femme sur le point de jouir, oui, toujours!


 


 

Lucie Blush a été interviewée par Steiger Amandine

                                                                                   

Polaroid de Lucie par Adlan Mansri

 

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