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La Russie de Margo Ovcharenko

Ca n’a pas d’importance, quelle musique j’aime ou quelle musique j’avais l’habitude d’écouter en prenant ces photos. La musique est un médium qui la plupart du temps touche directement aux sentiments, alors on peut dire que ça change aussi vite que tes goûts et ton humeur.

C’est très complexe. J’ai un ressenti plus contrasté aujourd'hui. Je suis russe à l’instar de tous ces écrivains, penseurs et artistes que le reste du Monde connait et que j’admire. Mais il y a aussi des russes qui s’entretuent et d’autres qui essaient de les en empêcher. Les russes ont mis des innocents en prison, tué des homosexuels et sont fiers d’être nationalistes. Il est évident pour toute personne qui s’estime progressiste en Russie et qui a l’esprit ouvert, pour moi et mes amis, qu’il y a une énorme différence entre le pays et les autorités. Nous adorons notre patrie et haïssons ceux qui la dirigent. Il y a tant de personnes intelligentes et talentueuses qui essaient de changer les choses, mais la réalité c’est qu’il en manque encore dans le plus grand pays du Monde.

Les photos que tu vas publier sont issues de mes archives, c’est donc assez différent de ce qui se passe actuellement vu que comme tout artiste j’ai connu une certaine évolution. Mais j’imagine un personnage qui m’intéresse, en général une personne qui vit à la frontière entre la normalité et l’anormalité. Etre trop différent pour se sentir dans le moule et trop dans la norme pour être un marginal délaissé pour toujours par ses pairs. A travers mon viseur ce que j’ai envie de voir c’est l’urgence d’être libre. Je veux voir comme on essaie de contrôler ses sentiments et ses désirs, et puis, parfois, je veux voir comment on perd en essayant tout ça.

Sans cesse je me demande comment aborder mes sujets alors j’essaie de trouver avec mes modèles quelque chose qui les intéresse. En ce moment je m’appuie sur l’idée de diriger des gens comme si c’était un film plutôt que de les espionner. Bien sûr les clichés occidentaux de l’érotisme paraissent ennuyeux, c’est un peu comme le cirque. Ils te montrent toute cette magie, et à la fin quand tu sais comment tout ça est fait, tu te dis qu’on s’est moqués de toi. J’aime beaucoup la chaleur, contrairement à la froideur visible dans la mode. Je pense que ce qui est sexy c’est ce qui te rend différent et non pas ce qui fait de toi une personne comme les autres. C’est pourquoi j’ai une attention pour les looks et les corps que je considère différents. La passion me plait plus que le jeu de la séduction et oui vive le naturel.

Pour moi c’est le seul moyen de faire croire aux autres ce que j’essaie d’exprimer. Peu importe ce que nous faisons pour y arriver, Nous passons la moitié de nos vies à avoir peur de la nudité et d’exprimer nos désirs. Ça m’enrage tellement qu’on puisse se moquer de la sexualité de quelqu’un ou de son corps. La plupart du temps, on n’a pas conscience de ce qu’on fait, et que ce qu’on fait peut facilement traumatiser les autres.

Je n’apprécie pas trop ces mots, je trouve qu’ils sont trop liés à la morale religieuse. Et je n’accepte pas l’idée qu’une église ou une doctrine puisse contrôler mon corps et ma sexualité.

Ce serait : honnêteté, soin, combat, fatalité et le combat contre elle, beauté différente, regard, honte.

Je ne trouve pas trop de façons d’être une activiste féministe à l’heure actuelle en Russie. Mais je fais des choses en tant qu’artiste et en tant que citoyenne. Mes travaux sont plutôt provoquants pour les russes, en particulier la série avec les gymnastes que j’ai présentée en 2012 dans la galerie parisienne avec laquelle j’ai la chance de collaborer. Pis il faut toujours faire face aux critiques des personnes les plus orthodoxes et sexistes, mais je ne suis pas non plus tout le temps rejetée. Parfois les gens jettent un œil à mon œuvre et y voient une réflexion. C’est pas comme si on ne disait pas déjà que je suis une « artiste féminine », ce qui ici n’est pas vraiment un compliment. Mais j’essaie d’établir un dialogue car je crois que c’est possible, et franchement je ne pense pas que beaucoup de personnes s’intéressent au féminisme ici. Ce n’est pas la priorité et je peux voir pourquoi.

Parallèlement à tout ça, quand je vais à une manif, je réclame et j’enrage en tant que personne. En tant que citoyenne j’ai aussi photographié des mères d’enfants autistes. J’ai fait un documentaire sur des mannequins amputés. Ce n’est pas vraiment mon œuvre artistique, mais ça a la même résonance.

Je travaille sur un projet vraiment pénible pour moi, j’essaie d’incarner les manières qu’a la morale religieuse de changer nos propres perceptions, notamment celle de notre corps. Et je crains de ne pas pouvoir l’exposer en Russie. Je suis à New York là et je retourne à Moscou cet été pour compléter ce projet, c’est un peu difficile d’en parler tant que ce n’est pas fini.

J’ai aussi commencé à faire de la vidéo, comme j’ai toujours trouvé ça dur de photographier les gens que j’aime, j’ai imaginé qu’une vidéo sur ma maman pouvait réussir là où la photographie a échoué. Je suis également sous le charme de la nature d’ici, au centre du pays, qui n’est pas du tout comme dans le sud, d’où je viens. C’est incroyable comme les paysages changent, c’est un autre pays. J’ai même commencé à me dire que le paysage pourrait être un personnage de mes futurs travaux. Je crois que ça va être délicat de travailler avec la nature car on caricature ce genre de sujets en disant que c'est amateur et simplet. La Russie est toujours un pays fermé, alors j’ai de la chance de pouvoir faire ce que je fais ici, là où j’ai tant à partager avec le Monde entier.

Interview-Sans-Les-Questions de Margo Ovcharenko

             par Charly Lazer

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