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Le Monde Est Plat

Loin de ton oreiller, le monde agit sur toi comme ce spectacle de danse que tu n’as pas su apprécier, sans doute parce qu’il pleuvait ce jour-là et que tes fringues étaient trempées. Tu appartenais au peuple d'en haut des escaliers, là où les places sont moins chères et le spectacle moins bon qu'en bas, selon toute logique, vu que les places sont plus serrées, et plus loin de la scène. Tes voisins de strapontin t'auront suffisamment mise mal à l'aise par leur promiscuité pour que ce soir tu n'apprécies pas ce que tu es venue apprécier. Autour de toi des discussions, des disputes, et des commentaires. Tu penses déjà trop, comme quand tu es loin de tes rêves, et que tes souvenirs t’épuisent.

Le monde agit sur toi comme la veste que tu ne peux mettre que sur tes genoux; Nulle présence autour d’oreiller.

 

Sans musique, le monde est plat.

Comme ce spectacle de danse que tu n’as pas su apprécier, sans doute parce qu’au son des pas se substituait le brouhaha des chuchotements de tes camarades de poulailler. Parce que le monde tourne et que tu ne sais pas où être si tu ne veux pas être là, dans l’odeur évaporante d’une salle d’Opéra, dans laquelle se joue un spectacle de danse, une pièce montée, sans musique puisqu'elle a été conçue ainsi, pour laisser place à la musique des corps; des pieds surtout. Les pieds tambourinent le parquet. L’odeur de la foule remonte par tous les pores de la salle et arrive à ton numéro de siège, elle se mélange à la douche que ton voisin n’a pas prise ce matin, mais qu’il a reçu plus tard, sans savon, en allant assister à ce spectacle de danse que tu n’as pas su apprécier.

 

Alors pendant la chose tu penses à ton oreiller.

 

Tu sors de l'opéra balafrée par ce manque d'appétit qui t'a contrainte quelques heures à regarder quelque chose sans le vivre. Tu as perdu ton temps, et tu marches droit, revivant ce que tu n'as pas vécu et te demandant pourquoi...

 

Ton lit

 

Ton oreiller

 

Tu ne te reposes jamais, pauvre enfant. Alitée depuis plusieurs jours, tu vies comme en post-opératoire sans morphine, noyée par l'incroyable masse de données que ton esprit éructe. Celui-là tu devrais l'enfermer de temps en temps. Certains diraient que tu es une mauvaise mère, mais au moins tu serais mère de ta pensée, et tu ne laisserais pas celle-ci te traiter comme un gamin capricieux traite sa pondeuse, incapable de te préserver faute de savoir quoi que ce soit de la dégradation des tissus d'un organisme vivant. Quand ta pensée fêtera ses 7 ans, peut-être te ménagera-t-elle un peu, consciente que toi morte, elle mourra aussi, ne pouvant errer à sa guise et jouer aux échecs avec tes regrets, et peut-être même réalisera-t-elle que tu es digne d'être aimée.

 

Arrête de regretter, arrête de te rendre coupable de votre manque d'amour. Vous étiez deux pour démarrer votre histoire, vous avez été deux pour la terminer. Ne pèse plus vos discussions passées, ne cherche plus à retracer votre chronologie. Dis-toi que la conjugaison des âmes produit des formes très variées, et parfois des malformations.

Certains font des enfants, d'autres font des blessures. Sois rassurée, vous avez tous les deux donné le meilleur de vous-mêmes !

Et pardonnes moi ce que je viens d'écrire, sachant que je serai capable d'écrire le contraire, mais que ça ne m'empêchera pas de t'aimer toujours. Accepte-moi comme cela, ou arrête de me rappeler que je suis important dans la vie que je t'écris.

Ignatius Reilly

Photographie extraite de Brume Epiderme, une oeuvre de Kim Doan Quoc

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