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     Ludivine, réveillée ce jour-là en sursaut au sortir d’un rêve érotique torride, se sentit très excitée, encore engourdie par ses turpitudes oniriques. Seule chez elle, célibataire depuis trop longtemps, elle se rendit chancelante et encore fiévreuse dans la cuisine, en direction du réfrigérateur. Elle se saisit d’une carotte arrachée à la botte déposée au fond du bac à légumes. Elle se recoucha rapidement et commença à se masturber avec la plante potagère : elle se pâmait en la manipulant d’avant en arrière, les va-et-vient lui procurant des frissons délicieux.

     Soudain, un lapin surgit entre ses cuisses avec l’envie de croquer la racine orangée, et se précipita au plus profond du sexe de Ludivine comme dans un terrier. Un renard à sa poursuite apparut, attiré par l’odeur de la chair fraîche, les narines palpitantes. La bave aux crocs, il se fraya un passage entre les nymphes afin de traquer sa proie au fond de l’utérus. Il fut aussitôt suivi par un vieux loup gris et maigrelet, affamé, qui, voyant le manège du goupil, s’introduisit à son tour dans le sexe, espérant y croquer le rusé canidé. C’est alors que se dressa un lion majestueux, une bête splendide venue de très loin, du plus profond de la savane, la crinière ébouriffée... et lui aussi ne pensait qu’à manger : il voulait chasser le loup pour le dévorer. Il arriva à l’entrée de la vulve, écartant les touffes de poils comme les bosquets de sa jungle, et s’y engouffra. Un chasseur de fauves, fusil à la main, cartouches en bandoulière, casque colonial en biais sur le crâne, voyant là une occasion en or de pouvoir enfin ajouter la tête du noble félin à la liste de ses trophées, traqua la bête jusqu’au fond du sexe à son tour. Des défenseurs des animaux lui emboîtèrent rapidement le pas, tous mobilisés dans une manifestation anti-safari, en scandant le fameux slogan : « Mort aux vaches et longue vie aux lions ! ». En file indienne, ils entrèrent dans le vagin en agitant leurs banderoles. On vit dans la foulée un congrès de sénateurs, qui venaient justement de voter une loi interdisant la chasse aux félins au Mozambique, suivre le mouvement en écartant les grandes lèvres comme un rideau afin d’y pénétrer. Le président de la République lui-même, galvanisé par les cris des manifestants, entra en grande cérémonie, assis confortablement à l’arrière de sa limousine, le clitoris agitant au passage les petits drapeaux tricolores accrochés comme des fanions à la carrosserie. Ça se bousculait au portillon de la vulve ! Ayant reçu une très bonne éducation, le président, descendu du véhicule, s’essuya les pieds sur le point G comme sur un paillasson, et disparut derrière les trompes avec les membres du gouvernement et leurs gardes du corps, sous les flashs d’une centaine de paparazzis...

     Ludivine n’avait même pas encore joui. C’était à se demander si elle n’était pas un peu frigide, au fond — oui, tout au fond... là où la carotte avait disparu. Elle était désespérément seule, réveillée ce jour-là en sursaut au sortir d’un rêve érotique torride, se sentant très excitée, encore engourdie par ses turpitudes oniriques. Célibataire depuis trop longtemps, elle se rendit chancelante et encore fiévreuse dans la cuisine, en direction du réfrigérateur : elle avait un peu faim, les émotions du rêve lui ayant ouvert l’appétit. Elle fut très déçue de ne trouver qu’une petite timbale de concombre en rondelles, avec une sauce au yaourt... Elle se décida finalement à avaler un reste de purée.

 

Les Carottes Sont Cuites

 un conte de Patrick Boutin.

Illustration par Laurent Lolmède

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