top of page

Texte, photo et vidéo par Elséphir Libre

La perversion n’est superbe qu’en tant qu’elle est laissée dans l’ombre au plus clair de son temps. C’est la portée générale de son secret qui définit sa beauté. Une perversion qui souffrirait d’être à chaque seconde exposée au supplice de la divulgation au regard d’autrui, par le fait de ses failles ou par celui de ses évidences, n’en deviendrait qu’une habitude morne et presque sans délices, une tare comportementale. Encore lui faut-il du mystère pour opérer réellement. C’est bel et bien la honte –la honte extrême, la honte dégueulasse ; le sentiment puissant, incroyable d’avoir affaires à des pulsions qui sont totalement impossibles à assumer pour un être social ; du désir affreux, infernal, presque insupportable d’être absolument voué à contredire sa propre morale; oui, c’est bien cette implosion de la volonté qui vient balayer d’un revers fatal le capharnaüm brumeux de l’honneur et de l’éducation ; c’est bien cela, ce choc inadmissible, c’est elle, c’est la perversion, démone qui lorsqu’on la désire et l’attend le moins, vient prestement griffonner sur le carnet chiffonné de nos vies: « Ô, mes vieux démons…! Mon enfer, qu’à tort j’avais cru muselé! Pourquoi venir toujours me causer tant d’effroi? Observe moi bien, car je fais de mon mieux. A chaque jour je m’essaye à me vouloir homme, et toi toujours tu reviens me trouver pour me faire plus bas encore que l’animal. Car l’animal est sans imagination, et sans profondeur ; il n’a rien à craindre de lui-même et tout à craindre d’autrui. Le démon ne concerne jamais que le cœur des hommes, trop épais pour ses épaules ridicules... Alors pourquoi, pourquoi te joues-tu de moi ? Tu le sais, que la déchéance complète est un fardeau de luxe, et que la nature n’a réservé ce cadeau empoisonné qu’à l’être humain de bonne volonté; car lui seul saisit malgré lui la valeur de l’élégance et de l’élévation ; lui seul, au hasard de ses plus favorables humeurs, caresse parfois du doigt la noblesse de son âme ; et lui seul, par inspirations soudaines, en vient à frôler de peu le divin et la grâce dispersés aux contours du monde. Voilà donc pourquoi tu l’as choisi, lui qui, par son instinct de rébellion, par son éternel esprit de révolte à sa condition d’être sensible et distingué, n’en ressent dès lors que d’autant plus l’urgence de se descendre au plus bas de lui-même, au plus bas de tout, pour faire comme de dire –je refuse ; je refuse tout ; tout ce que l’univers attend de moi ; je ne souhaite que de dévorer, de mordre, et de brûler ; je ne souhaite que de disparaître et de m’effacer à la brume de sa vue lointaine ; me dissiper, me dissoudre hors de ses bras, et hors de toute portée ; je ne veux rien savoir de ses attentes à mon sujet, ni de mes prétendues responsabilités ; qu’il n’ait pour moi aucun égard, aucun baiser; qu’il m’oublie, que je ne lui sois plus rien, que je ne lui sois moins encore que rien ; qu’à ce jour le dieu des hommes puisse ainsi venir déposer une gerbe ou une couronne sur ma providence ou sur ma causalité ; sur ma mémoire ou sur mes suppliques feutrés ; entendez moi bien, car je ne vous le clamerai qu’une seule et unique fois, à vous tous qui souhaitiez sculpter mon visage et mon cœur dans le ciment de vos éternités :  je suis libre de ma misère, de mon carnage, et de ma volupté ; je vous le hurle, je vous le gueule, alors n’oubliez pas, n’oubliez jamais :  j’emporterai mon désir dans ma tombe avec moi. Et qu’on l’accepte ou non, bien après tout, si cela qui sait me chante, j’y emporterai peut-être bien le monde entier avec moi.

Ombre De La Perversion

bottom of page