tu me séduis tu m’absorbes
je te dispute
je te risque je te grimpe
tu me frôles
je te nage
mais toi tu me tourbillonnes
tu m’effleures tu me cernes
tu me chair cuir peau et morsure
tu me slip noir
tu me ballerines rouges
et quand tu ne haut-talon pas mes sens
tu les crocodiles
tu les phoques tu les fascines
tu me couvres
je te découvre je t’invente
parfois tu te livres
tu me lèvres humides
je te délivre je te délire
tu me délires et passionnes
je t’épaule je te vertèbre je te cheville
je te cils et pupilles
et si je n’omoplate pas avant mes poumons
même à distance tu m’aisselles
je te respire
jour et nuit je te respire
je te bouche
je te palais je te dents je te griffe
je te vulve je te paupières
je te haleine je t’aine
je te sang je te cou
je te mollets je te certitude
je te joues et te veines
je te mains
je te sueur
je te langue
je te nuque
je te navigue
je t’ombre je te corps et te fantôme
je te rétine dans mon souffle
tu t’iris
je t’écris
tu me penses
Ghérasim Luca (La fin du Monde), Extrait de « Paralipomènes », Corti, 1986.

Bien planquée derrière mon écran d’ordinateur, internet a considérablement élargi le champ des possibles de ma vie sexuelle.
Aujourd‘hui je m’offre et je choisis. Par centres d’intérêts communs, par goûts sexuels partagés, je trie sur les sites dédiés ou sur les réseaux sociaux. Je soupèse. Et je peux dérouler une longue conversation avec toi, l’inconnu(e), en choisissant de me dévoiler ou non, de te rencontrer ou pas. J’ai tout loisir de faire monter le désir ou de couper net une discussion qui m’ennuie. Je joue ou je me livre selon mon envie et peu m’importe car tu ne peux m’atteindre. Il faudra d’abord que tes mots me séduisent. Une part de mon imaginaire sera délicieusement sollicitée par ces échanges épistolaires. Je rêve… j’ai l’embarras du choix. Cependant, il peut bien y avoir des mois d’échanges virtuels, la rencontre n’aura réellement lieu que lorsque tu prendras corps et qu’ainsi je pourrai prendre feu. Tout sera alors à recommencer et il n’est pas impossible que je cherche à travers cet étranger qui me paraissait si proche cet autre que j’ai assemblé comme un jouet à ma mesure. Il se peut que je tourne les talons, il se peut que je reste. Il se peut qu’une histoire commence. Rien n’est plus écrit, il n’y a plus de règles, de normes, je peux même décider de t’aimer. Et de t’aimer avec d’autres si ça me chante. Car ce que je cherche, au final n’a absolument pas changé, internet ou non, je cherche l’objet éternellement fuyant de mon dévorant désir, mon miroir et mon double. La révolution lascive est la reprise d’une quête pour toujours inachevée.