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Nouvelle de Mick Elangela

Illustrée par Thadé Badeusz

   Ce soir-là, affranchie de pas mal de choses, je me sens bien. Mon corps suit le rythme d’un DJ set EBM au sein d’un cube en verre géant entouré de neige. Autour de moi, des potes et des prétendants. Discutions éparses, bières offertes et même une demi pilule déposée dans ma main, aussitôt redistribuée, je n'en prends plus, mais merci quand même.

   Il apparaît dans le sas fumeur et on s'y collapse sans que j'aie pu le voir venir. Il semble heureux de la situation, moi aussi. Nous sommes légèrement euphoriques. Le laissant prendre possession des lieux, je file respirer un grand coup au -1 et tire la chasse avant de retourner au cœur du playground. A mon retour, il erre, jamais trop loin dans la salle. Nos regards furtifs s'entrecroisent, je sens souvent le sien me transpercer le dos. Se sentir bien car savoir qu'il est là, un classique. Une énième pause nicotine. Moi dehors, lui dans le sas. Il sourit, son visage presque accolé à la vitre, en cherchant de quoi allumer sa clope. J'allume mon briquet et le porte à sa bouche, le plexi nous sépare et les flammes fusent. Plus tard, il jalouse presque mes interlocuteurs. Instinctivement, il m'éloigne l'air de rien de ses rivaux. Un regard profond et une courte tirade efficace:

-On trace?

On trace. Nos pas étreignent la neige vierge.

Bataille!

   On vise les lettres des enseignes en jetant des boules givrées sur les vitrines, mes Doc Marten’s glissent dangereusement sur le sol et il me retient.

Plus loin, presque en face de chez lui, une fille pleure discrètement et il s'en émeut. Elle attend un taxi qui ne passera pas. Il la persuade de monter avec nous, chez lui.. Un vrai gentleman et ça m'amuse : elle est jolie, c’est ambigu mais lui seul semble éviter d’en avoir conscience. Appels vains, plus de courses possibles à cette heure dans ces conditions climatiques. Verres de vin blanc et clopes menthol.

   Elle nous croit ensemble, habiter  ce lieu qu'il squatte seul. Il ne rétorque rien, joue le jeu et j'aime ça. Elle met le doigt là ou ça fait du bien, construit pour nous le scénario d'une romance inassumée pour l’un, inassouvie pour l’autre. J'en profite pour lui adresser des messages indirects.

Les doubles sens fusent.

   Notre entracte triangulaire, ce samossa en hors-d'oeuvre tire à sa fin, elle prend congé et il a faim. Une bougie-monstre éclaire ce qu'il faut de la pièce aux 16 poutres apparentes, je les compte à chaque fois.

Bataille, à nouveau.

   J’aime bien. Maintenant, il s’agit de musique.

Moi : 'Black Dog / Led Zepellin

Lui :  'My Shadow' / Jay Reatard,

Moi : ‘Dragonauts’ / Sleep.

   Et puis je le laisse mener la suite du set. Il dévore à présent une pizza, je bois un trop grand verre de vin rouge et fume trop de roulées. Je profite qu'il soit rivé sur son écran d'ordinateur pour scruter son profil fascinant, saillant, si bien dessiné que j'aime tant. Il passe -et il le sait-  ce morceau ancré à un passé respectif évoqué par nos silences, que l'on ne brise qu'une fois trop saouls. Il en parle ce soir à demi-mots et ponctue son histoire en éructant d'éclats de rire inquiétants. Son regard dissonant envahit une fois de plus le mien et à ces moments, je brûle dans moi.

   Lorsque je dérape sur la couverture jetée sur son canapé, je lui fais répéter ce que j'ai mal entendu : « Ne tombe pas petit chat!' » J'en ronronne de surprise, me blottis contre lui et m'assoupis. Il est déjà trop tard. Aller se coucher, nonchalants d'alcool.

   L'invitée que je suis chez lui se met à l'aise ; soutif-culotte au fond de ses couvertures. j'enfouis mon nez dedans et tire un gros rail de son odeur addictive. Je me cale en chien de fusil. Il se dévêtit aussi dans la pièce. Je fais mine de dormir mais en vrai je le matte. Il est beau et il se cale dans le pieu, son ordinateur portable sur les genoux, prêt à lancer un film. J'aperçois furtivement le logo Warner Bros et gémis lascivement ma contrariété. Il lâche ce foutu PC et se couche, tout en face de moi. Je sais que dans cette configuration, il ne se passera rien. Tendue, je me tourne, me retourne, dos à lui, mes fesses frôlant dangereusement son ventre. Je sais cette tentation difficile à gérer pour lui et j'ai raison. Il me saisit enfin par la hanche, caresse mon ventre parfois creux, palpe mes fesses toujours rebondies. Des soupirs agrémentent nos non-dits. Ses mains glissent et plus assurées, virent ma culotte. Je virevolte, une amazone punk le surmonte. Mon nez contre son nez car sa langue dans ma bouche. Nos incantations sonores se font animales.

   Soudainement, il se dégage sur le côté pour se lever d'un bond -une impression de déjà vécu, légère angoisse- Qu'y a t-il? Encore, il fuit? Je me contracte, ferme les yeux, les rouvre discrètement pour l'observer derrière mes cils mi-clos. Putain ce qu'il m'excite! De profil, nu, derrière cette étagère Ikea Expedit. Il bande. J'aime son corps, sa nuque, sa queue. Il cherche un truc. Des capotes! Rassurée.

Il replonge dans les draps et de nouveau, il faut nous réapproprier cette proximité charnelle. Ses doigts explorent mon bas-ventre. Je soupire en savourant chaque seconde. Ma mémoire vive enregistre chaque moment comme un talisman précieux pour mon cortex. Je saisis sa bite que j'aime tant. Il gémit. J'aime qu'il aime.

   Bientôt, il est dans moi. C'est si bon, si évident, mais notre fusion n'est propice que sous les hospices d'un combat mutuel de chacune de nos étreintes. Il est sur moi, je le repousse, provoque et fait jaillir ses pulsions. Il me plaque contre le matelas. Je suis bloquée et il fond sur moi. Je pousse un léger cri lorsqu'il plante ses dents dans la chair de mon avant-bras J'enfonce mes ongles dans la peau de son épaule. Lui continue à me pénétrer. Un « C'est bon! » soupiré avant d'attraper l'intérieur de ses cuisses. À cette attaque, il me baise plus violement. Je gémis autant que je pousse des petits rugissements. Mon corps se cambre. Il mord mes seins, je croque son cou, il m'embrasse. Je me retourne, d'un mouvement vif mais souple. Il va et je viens. Je me relève et plaque mon dos contre son torse.

Pouce, pause.

   Mes doigts attrapent les siens et il les enserre quelques secondes. Je sens sa queue levée dans le sillon de mon cul. Il a de nouveau envie et me pousse d'un geste efficace, en appuyant fermement la paume de sa main contre le haut de mon dos. Ma tête est écrasée contre le coussin, il me prend bien. Parfois, sa queue glisse hors de sa trajectoire et je l'aide à la replacer. Le plus possible, je recule mon corps en arrière contre le sien pour intensifier ses à-coups. Ses mains parcourent ma taille. Mes mains tendues vers l'arrière cherchent les siennes, les saisissent et ainsi régulent le rythme de nos ébats. Je sens sa respiration s'accélérer, des râles intenses de plaisir, son excitation me ramène à la mienne, ma voix fait écho à la sienne.

Climax. Il éjacule.

   Des zones de ma peau en sont lubrifiées. A-t-il mis cette capote? Je ne pige pas tout et n'en sais foutre rien au final. Il faudrait que je m’en inquiète, mais plus tard. Maintenant retournée contre lui, je continue à titiller son gland. J'adore ces petits soubresauts masculins post-coïtaux. Ma langue en pointe se balade sur la pulpe charnue de ses lèvres, soupirs. Il s'affale à mes côtés, nos mains jointes.

   Mon encéphale est en mode "Record", je ferme les yeux. Lorsque je les rouvre, ils sont envahis par son regard profond. Une plénitude immense m'immole sur le champ. Je lui souris et soupire, ivre. Mon corps vrille, le sien protège le mien en position cuillère, sa main jointe à la mienne. Fixer cet instant dans ma postérité, surtout. Plus tard, à l'aube d'un réveil forcé, un mirage, énième mash up jouant les équilibristes sur la corde raide du fantasme et de la réalité : il se relève des draps chauds, me regarde d'un air solennel et m'annonce un :

« Je t'aime ! » 

Je m'éveille à cet instant, ma main toujours dans la sienne, un hématome en haut du bras, mais il ne reste plus que ça.

Rien d'autre.

 

 

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