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   Assis à mon bureau j'écris dans ce calepin, qu'elle m'a donné, ces quelques notes dématérialisées. Assise sur le divan, devant le téléviseur éteint, elle n'a besoin de rien. Elle peut rester là, à aspirer l'air, le cracher par terre, à dompter sa tasse de café au lait, la faire tournoyer autour de son poignet sans en gaspiller une goutte, sans me jeter un regard. Les premiers rayons traversent la pièce pour atteindre mes orteils dansant sur le parquet, prisonniers du soleil, elle se lève pour ouvrir les fenêtres et prendre une gorgée de bon matin. Elle se penche, sur la pointe des pieds, ses petits seins passant par-dessus le garde-corps, sa chevelure pendant, j'imagine la lente ondulation d'un cheveu qui se détache. Un coup de klaxon me coupe. Il faut que je me reconcentre. Je me ressers un verre de lait et je me tourne pour prendre une bouffée de douces émotions sur ses petites fesses. Elle a la nuque pliée, probablement fixe t-elle un oiseau dans l'arbre d'en-face qui chante la vie. Je poserais mon verre plein sur sa colonne vertébrale, entre les deux points dans lesquels je logerais mes yeux pour pleurer la beauté à en devenir aveugle. Aîe! Ca pique. Le lait a tourné. Je me lève précipitamment pour aller tout recracher, et laver le verre dans l'évier. L'espace d'un instant je pense avoir occis le calme ambiant, qui dans ma quête lascive d'un au-delà auréolait de toutes parts son corps léger, souple et tendu sur le balconnet. Pourtant quand je reviens, imperturbable, elle est toujours à son poste, ignorante courtisane d'éros qui naviguant seul son nuage lui contemple le visage. Sourire en coin, son regard fixe tendre et intense l'invitant innocemment à tendre la main, Eros pris au cou par l'infini dans les yeux de cette jeunesse succombe au désir de la toucher, et chute. Il hurle mais c'est le chant du printemps. Dans son divin adieu aux cieux, il parvient néanmoins à rattraper le cheveu avant qu'il n'atteigne sa destination, le sol, le prend, le serre dans sa main, contre son coeur, le mange, puis disparait. Je songe à l'instant où elle s'en ira, me laissant avec mon stylo bille et mon smegma, me quittant avec un baiser sur le front et ma quête de sagesse. Je me vois lui faire des crêpes, je sens déjà l'odeur se répandre dans tout l'appartement, jusque chez mes voisins inquiets, sa façon de se lécher les babines en me remerciant, moi lui disant que c'est normal, d'avoir de si beaux sentiments. La mutation de la pâte sur la poêle que je lui tends puisqu'elle veut la faire sauter. La crêpe trébuchant, on se marre, on bave de rire. Je la ramasse avec mes orteils, elle se penche mécaniquement, la prend entre ses dents et pivote comme une grue géante avant de la lâcher au fond de la poubelle et de me regarder la bouche grande ouverte comme une gosse qui a fait une bêtise et attend sa punition. Je l'enferme dans mes bras, bien au chaud, j'ai le coeur qui fait du quatre quatre sur son menton. Elle s'allonge sur le divan, les bras par dessus la tête, elle se laisse aller, une de ses chevilles se fout du beau temps et m'hypnotise. Je crois remarquer des grains de sable entre ses orteils mais c'est sûrement quelque poussière que j'ai gardée de la nuit dans l'oeil. Elle replie les jambes nues sur son abdomen, le tissu est remonté, j'essaie de gober la courbe inférieure de ses seins mais elle domine chaque pulsion qui me traverse. Je la regarde ainsi s'étirer. Je pourrais être juste sous sa nuque, lui caresser les cheveux, doucement. Les heures passeraient comme des balles et je finirais chauffé à blanc. Elle endormie, un filet de salive au coin des lèvres que j'essuie avec un doigt. Puis je la porte légère vers mon lit, dépose sa tête sur un coussin de plumes en pliant les jambes et en me penchant suffisamment pour qu'il n'y ait aucune secousse. Les réverbères jaunes éclairent son sommeil, je suis mort de fatigue, j'ai envie de pleurer, je m'assieds dans le fauteuil, et je prends un livre au hasard qui traine, je l'ouvre sur une page cornée, je lis en boucle la première phrase, pourtant cool, je lève la tête, et retombe sur cette phrase qui prend le dessus, je laisse tomber le livre, et je m'endors en la regardant se noyer.


 

La Fille, écrit par Charly Lazer

Illustré par Marjorie Dublicq

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