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   Hasard du calendrier peut-être, j'ai vu ces derniers jours que pas mal de monde prenait part sur Facebook à des courses. Après quoi couraient-ils tous? Ca tombait bien puisque j'avais déjà dans mon dictaphone quelques bribes de réponses, après avoir rencontré 1 joggeur et 2 joggeuses, qui courent pour diverses raisons mais vraisemblablement, comme tout le monde, après le bonheur. Tout va bien.

Bonheur de Runner

   Quand j'ai eu huit ans, j'ai fini troisième la course de Lambersart. J'ai eu la chance de faire la bise au député-maire de la ville, je m'enfonçais dans ses joues, je crois que ça a compté dans ma vie de joggeuse. Il remettait un prix aux sportifs alors qu'il était vraiment gros, en tant qu'enfant j'avais trouvé ça très drôle. Je cours donc depuis longtemps, mais régulièrement on va dire que ça fait trois ans. Ma motivation c'est de sentir mon corps. Déjà je ne cours qu'en extérieur, j'ai besoin de sentir le froid ou le chaud ou la pluie. C'est un moment où j'aime me retrouver seule, pour m'évader totalement, sauf quand je dois être sur mes gardes parce qu'il y a des gens chelous. Je n'y vais en tout cas pas pour la performance. Pas de chrono, c'est vraiment parce que ça me fait du bien, et ça n'a pas de rapport avec la vitesse. Souvent je cours après avoir passé une journée chargée, du coup c'est une vraie pause, et en bonus je cours souvent dans la nature, j'adore regarder ce qui m'entoure et courir au bord de l'eau. Je croise assez peu de gens, je suis tranquille. Parfois c'est même flippant. C'est un peu le gros cliché, mais c'est lié au fait d'être une fille. Après ça dépend des endroits, et puis des tarés tu peux en croiser partout. Enfin en même temps c'est même pas vraiment flippant. Ça fait partie du mythe. Ce que j'aime aussi, quand je croise des gens, c'est regarder leur corps en action. Les cuisses, les épaules... Je trouve ça vraiment super beau, alors parfois je m'assieds et je regarde. Après il y a des personnes plus ou moins gracieuses, mais il y'en a, sans qu'elles soient forcément très musculeuses, qui sont super agréables à regarder. Je crois que l'ouïe est mon sens préféré, certains sons, notamment liés à la faune et à la flore, deviennent presque familiers. Sinon le silence est agréable, c'est comme être dans un cocon, ça participe à l'idée de coupure. Il faut aussi s'écouter, pour savoir gérer l'effort. Il faut écouter son corps. Il y a eu des fois où je n'aurais peut-être pas dû aller courir car j'étais épuisée, mais j'en avais besoin psychologiquement, c'est très addictif, l'endorphine c'est pas des conneries. La course c'est pas une attaque contre ton corps, mais c'est pas si spontané. A priori si on court c'est qu'on est en danger d'une façon ou d'une autre, et là c'est volontaire, mais le corps réagit de la même façon. Moi j'aime bien les courbatures, c'est pas un truc qui me gêne. Je ne dirai pas que je suis en extase après le footing, c'est quand même pas un orgasme, mais je me sens bien, ça implique un rapport assez intime à son propre corps, on peut se faire des massages, mais je me demande ce que ça fait de faire l'amour juste après. Je me demande aussi si les autres coureurs me regardent. Il y a un truc qui a toujours fonctionné, même si j'arrive crevée, le fait qu'il y ait des gens susceptibles de me regarder, ça me fait avancer. Si j'étais seule, sans le regard de l'autre, je sais pertinemment que ce serait beaucoup plus dur. Je ne vis pas ça comme une perte de temps, et au final si car je pourrais faire d'autres choses à la place, mais je sais bien que si j'arrête, je ne serai plus aussi bien. J'ai déjà fait l'expérience, j'ai arrêté de courir pendant trois semaines et au bout du compte j'avais l'impression d'être un cheval enragé prêt à tout défoncer. Une fois je courais, c'était un mercredi après-midi, dans un lieu apparemment tranquille, et là je tourne la tête et je vois un couple de quinquagénaire à deux mètres du chemin, la dame lui faisait une fellation. Je me suis dit « merde, et s'il y a des enfants qui passent par là sur leurs vélos ! ». Le fait que ce soit un mercredi, ça m'a marqué.

 

Florine

   Je me souviens du premier jogging. J'avais la tête qui tournait, une sensation vraiment plaisante, un peu d'euphorie et tout. J'ai jamais retrouvé cette sensation. Jamais. Je sais que je ne la retrouverai plus. Maintenant, c'est plus devenu comme une douche. Mais c'est plus après coup que je la sens. Lorsque je reste un moment sans courir, je finis par me sentir crade de l'intérieur, un peu comme quand tu oublies de te brosser les dents et que tu as une espèce de plaque sur les dents ; quand t'as les dents propres c'est normal, mais quand t'as les dents sales tu sens bien que quelque chose ne va pas. Je cours dans le plus grand espace vert de Lille, c'est pratique, c'est varié, tu peux courir sur les remparts, longer la Deûle, il y a plein de petits chemins, ça monte, ça descend, ça part dans tous les sens. L'endroit où on est en ce moment c'est l'ancien emplacement du stade Grimonprez-Jooris. En 10 ans j'ai vu le stade, puis sa destruction, et maintenant il y a un petit lac naturel. Au départ c'était simplement une flaque, désormais une végétation s'y est développée. Ça me plaît vachement de voir l'évolution de la nature, de l'environnement, et aussi les changements de saison. En ce moment tout est super vivant, il se passe un truc, les animaux sont de sortie, tu les vois parfois détaler. Je n'écoute pas de musique quand je cours. Je regarde, j'observe.

 

Bernard

   J'ai commencé le sport en janvier à mon retour d'Australie. Je séchais le sport à l'école, je ne courais pas, je détestais ça, c'était atroce. L'Australie m'a fait prendre un peu de poids, mais courir pour en perdre, c'est pas une bonne motivation, ça ne sert à rien : je courais une fois par semaine, puis une fois par mois, et puis je n'y allais plus. En fin de compte c'est ma belle-sœur qui m'a motivée, elle fait du sport plusieurs heures tous les jours, et j'ai donc repris la course en juin avec elle. Cette fois ce n'était plus pour perdre du poids, le problème avait été résolu grâce à une bonne alimentation, mais suite à une séparation, j'avais beaucoup de choses à évacuer. D'ailleurs je cours toujours avec de la musique, ça me booste. ACDC les premières semaines c'était le top du top. Néanmoins je courais trop vite, clairement, j'étais à bout de souffle, mais bon au moins j'étais soulagée derrière. La deuxième semaine, je suis allée courir un peu chaque jour, et ensuite ça s'est stabilisé à deux, trois fois par semaine à hauteur de dix kilomètres. Les premières semaines c'était de la rage, mais ça me faisait un bien fou. Ensuite j'ai continué de courir parce que ça me manquait. J'ai fini par me blesser, une tendinite au moins d'août, je comptais les jours. Je ne pensais qu'à ça, aller courir. Je crois que courir deux fois par semaine fait que tu ressens le manque et qu'automatiquement tu continues. Quand j'ai commencé et que je disais à mes amis « je vais courir » en fait c'était «je vais courir après l'endorphine ».

Aujourd'hui la rage est passée, on s'entend même très bien lui et moi. Je suis beaucoup moins agressive, beaucoup plus calme et posée qu'auparavant. Ça aide aussi à réfléchir, je cours pendant une heure et il y en a des choses qui me passent par la tête. En général je cours le dernier kilomètre en sprint, c'est celui qui me fait le plus de bien, ça m'est déjà arrivé d'avoir un sourire énorme, ou d'avoir la larme, je suis heureuse à la fin. C'est bien en général pour commencer la journée. Je sais que je vais passer une très belle journée, être de très bonne humeur, relax. Le cadre peut être important, j'ai pas envie de tourner en rond et de passer quatre fois au même endroit. J'aime bien avoir un point de départ et un point final. Dès que j'ai commencé à courir, je me suis inscrite à une course du combattant, la Chti Délire, qui aura lieu en octobre. Onze kilomètres, et tu dois passer dans la boue, passer par-dessus des obstacles. En janvier, je faisais à peine cinq kilomètres, et je crachais mes poumons, mon objectif était d'en faire onze en octobre. Finalement en juillet j'ai réussi à en faire treize. J'avais sous-estimé l'objectif, j'aime bien me surpasser et quand tu vois comment ça va, tu te dis que ça peut aller très vite. Après, je ne veux pas courir plus d'une heure, parce qu’au-delà ça devient chiant, du coup mon objectif est d'améliorer ma vitesse. L'autre fois je courais et il s'est mis à pleuvoir violemment, je ne savais pas trop quoi faire, t'as pas vraiment d'autre choix que de continuer à courir.

 

Marie

 

Photos et entretiens réalisés par Charly Lazer

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