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Il est plus que temps pour toi d'écouter le GROUPE OBSCUR

Lise Dua

Han Han : Merci le Groupe Obscur de m'avoir permis de te découvrir. Afin de faire la lumière sur ta facette musicale, peux-tu me dire d'où vient l'idée du Groupe Obscur, tu en es la créatrice et la penseuse ou je m'abuse? 

 

Delamore : Le Groupe Obscur est né spontanément en 2012, suite à un bon alignement des planètes ainsi que des humeurs de Johan et des miennes. A vrai-dire, Le Groupe Obscur n’est pas une idée, ni un concept qui nous enclaverait. Nous avons ressenti le besoin de faire cette musique car elle nous ressemble et nous émeut, puis le besoin de nous entourer car c’est le fun, la familiarité et la communauté qui la font vivre. Notre style s’est défini avec les autres et le temps, emporté par le désir de se raconter au travers d’histoires, mystérieuses et sensibles, mêlant l’inconnu et l’imaginaire collectif. Le Groupe Obscur, c’est de la pop-rêveuse. Les textes calquent leur nature introspective ou existentialiste sur des personnages inventés, des créatures de légende empruntant au « je » universel. Bien que mes propres lubies planent sur nos cinq têtes, je ne sous-estime pas le terme de « groupe » et en entretiens un idéal : il n’est pas le prétexte à un accomplissement solitaire, aussi attache-je beaucoup d’importance à la propagation de mon univers en chacun des quatre autres membres, pour qu’ils puissent eux-mêmes le transformer et le rendre vivant. Cela s’applique à la musique, aux intentions, à l’esthétique, etc. Et c’est d’ailleurs ce qui se passe entre nous puisque chacun met la main à l’ouvrage. On essaye, on se questionne beaucoup, en théorie comme en pratique. Ainsi plutôt qu’une créatrice ou une penseuse, je préfère donc me considérer comme une force d’impulsion, de genre prolifère. 


Han Han : Votre musique, puisqu'on en parle, semble tout droit descendue du paradis. Penses-tu comme moi qu'elle possède un truc sacré? Certains textes incompréhensibles seraient en Obscurien, c'est quoi ce langage?

 

Delamore : Le sacré dans Groupe Obscur, on en retrouve un peu partout, comme une influence vaste et éclatée. J’ai dans l’écriture de mes textes une forte tendance à l’allégorie ou la personnification par exemple, je parle beaucoup des éléments, des forces en opposition. Je suis très attirée par les images, les icônes, les tableaux - en tant que scènes - ou encore toutes les formes d’amulettes et de fétiches. C’est d’abord tout un vocabulaire que je trouve très beau accolé à une mélodie, un décor intriguant et puissant sur une scène, mais aussi une multitude de possibilités en terme de narration et d’évocation. Et puis il y a bien évidemment la mort - et les vestiges du vivant - à laquelle nous sommes liés singulièrement comme elle nous stimule, nous passionne. Profane dans le monde des symboles, je vais vers ce qui me captive sans toutefois chercher à donner dans la référence, car je souhaite m’inspirer d’un pouvoir auquel je suis sensible sans en devenir prisonnière. Donc je glane ici et là dans l’espoir de composer et de partager un universel détaché des religions, mythologies ou idéologies connues, malgré des codes familiers. Pour amener autre chose. Notre musique, tortueuse mais lumineuse, sûrement profite-elle et inspire-t-elle ce goût des contrastes, de la grandeur et de l’immuable communs au sacré : on parle de grandes chevauchées comme on parle d’un sommeil qui tarde à venir; cette musique, on croirait qu’elle vient du creux du cœur et du fond des mondes à la fois, une agréable confusion en somme.
L’Obscurien est une langue qui s’étoffe au fil des compositions, car les mots s’inventent au fur et à mesure que l’on en a besoin. Elle est donc largement incomplète, mais structurée. Il existe des règles de syntaxe, de conjugaison, de grammaire, et un répertoire de vocabulaire. Elle s’inspire largement des sonorités de la langue française, mais aussi du latin et du grec. Je collectionne les planches anciennes de botanique, et elles m’inspirent beaucoup pour l’Obscurien: une langue qui s’enroule comme le liseron et qui pique comme l’épine, dans Calacetea on appelle ça « la caresse et le poignard ».  Un petit exemple pour la route :

 

En fen dandelideliaelen deon          Et sur la tête des cascades
Cantesëa delarmel                          Marchent les vivants
Palé tel quarel teledeonelle             Dans les chevelures de sel
Candel aperäx belibeläa                 Certains pieds s’emmêlent
Omëdaen calelë sinelëanlioëx        La langue de l’eau les attire
Omëdaen calelë epsonëanlioëx      La langue de l’eau les aspire

Malsages                                        Malsages
Scandelel liliamelen foliaen            Cité des funambules noyés


Han Han : J'ai aussi lu que l'Obscurien était mélismatique, ce qui se réfère à quelque chose d'un peu moyenâgeux ou antique, une musique un peu sacrée une fois encore. Quelles sont les choses qui t'influencent dans la vie et dans l'art? Fais-tu seulement la différence entre les deux? Crois-tu un tant soit peu en l'avenir? Ceci n'est pas une question régressive, au contraire, à chaque fois que je repense à ce concert auquel j'ai assisté ou que je regarde vos vidéos, je me dis que je n'ai jamais rien vu de tel. 

 

Delamore : Je suis consciente d’avoir un besoin d’expression, de démonstration et de partage insatiable, forcément donc je me pose les questions qu’il engendre. La bidouille est une seconde-nature, mais j’accepte seulement depuis peu que cette multiplicité puisse me résumer. C’est-à-dire que j’ai beaucoup cherché à me spécialiser, alors que mon identité se trouve précisément dans cette polyvalence. « Art » et « vie » - comme tu les suggères - se nourrissent mutuellement et en permanence. Il ne s’agit entre les deux pas d’une scission mais plutôt d’un échange constant. Le quotidien, ma relation avec les gens, leur façon de se mouvoir et de parler m’influencent par exemple, et en retour ce que je produis parfois me dépasse et me surprend. Une simple conversation peut tout bouleverser dans ce que l’on est et ce que l’on fait. Ainsi je pense essentiel d’entretenir une sensibilité maximale, de garder l’œil et le cœur vifs.
Bien sûr, je puise dans des références artistiques et
esthétiques. J’aime le dessin botanique donc, les sciences naturelles, les inventaires, les cabinets de curiosité, La Casati, Mélies, les sorcières. Et puis le textile, vraiment : les matières, les motifs, les outils. Parfois je trouve troublant que cela m’obsède autant. Quant à la musique, les mots sont souvent décevants pour la qualifier directement. Je préfère emprunter d’autres chemins. Les catalogues m’ennuient; il faudrait s’en servir, et non s’en contenter.  Après tout c’est cet indicible qui est le plus précieux. Aussi je ne m’inspire pas d’une musique aussi frontalement que je pourrais le faire d’un costume ou d’une image. Et je ne voudrais surtout pas perdre cet implicite vis-à-vis d’elle.
Pour tout cela je pense être une personne pleine d’envies et d’espérances, ce qui implique certes aussi la peur parfois, de ne pas trouver les voies, les moyens de rendre ces chimères tangibles. Mais assurément je crois en l’avenir, ce qui n’est pas si extravagant. Je trouve plus ardu de ne pas considérer le présent incommode.

Lise Dua

Han Han : Sur scène, je t'ai trouvée captivante, je me sentais aimanté. Peut-être était-ce normal parce qu'au CCL j'ai l'habitude de me sentir bien, c'est un lieu où l'intimité se partage facilement, mais en fait je me dis que c'était certainement bien plus que ça. Comme si tu dégageais une force énorme. Crois-tu qu'il se peut que tu aies des pouvoirs qui émergent dans certaines circonstances? 

 

Delamore : Ce qu’il se passe techniquement au niveau des ondes magnétiques, je l’ignore, mais je sais que la scène rend dingo. Je crois en ce que je chante, en les personnes avec qui je joue, et profondément en cet obscur groupe et son devenir. Et puis je trouve cela très puissant, ce truc du spectacle. Il y a le début, la fin, et entre les deux, le champ des possibles. C’est-à-dire en principe, pas d’interruption à l’histoire engagée. Alors pourquoi se priver ? Si je trouve l’occasion de me révéler comme une pythie possédée avec une couronne et un pompon sur la tête, j’y vais. Il y a aussi le public que j’aime bien scruter mais que je ne parviens pas toujours à sonder. Cela crée une tension, un aller-retour fulgurant et ininterrompu entre lui, moi, et mon personnage. En fait ça rend complètement fou. 

 

Han Han : Aussi, est-ce important pour toi de te dévoiler ou au contraire te sens-tu fragile? Tu as l'air tellement sûre de toi et cette façon que tu as de rester figée parfois, c'est un mélange hypnotique. 

 

Delamore : Je me suis posée pas mal de questions sur le fait d’être interprète. L’ayant jusqu’alors plutôt dénigré, j’ai compris toute la difficulté qu’il impliquait, l’investissement et l’abandon qu’il exigeait. Interpréter ce serait se révéler soi à travers l’œuvre d’un autre, après l’avoir et s’être soi-même disséqué, exploré et digéré jusqu’aux tréfonds. Le fait est que je suis auteure de mes textes et mélodies, derrière lesquelles je peux prétendre à toutes les interprétations. En pensant ne pouvoir de ce fait échapper à la sincérité, je me suis demandée si être compositrice ne me laissait pas sujette au camouflage et à l’artifice. Ce que je ne désirais pas. Donc pour garder le lien avec ces chansons et transmettre leur authenticité, il fallait que j’en devienne moi-même pour de vrai l’interprète. Être magicienne pleinement malgré des interrogations fondamentales paroxystiques sur scène. Donc, la réponse à la question se trouve probablement en un alliage de fragilité et de hardiesse ! Une bataille entre questionnement et lâcher-prise, celle-là même que tu appellerais « mélange hypnotique ».

 

Han Han : Puisqu'on évoque la scène, et le fait de se dévoiler, parlons fringues! Il est vrai que c'est assez rare de voir d'aussi jolies créatures sur scène. Tu crées les parures que portent tous les membres du Groupe Obscur, pour quelles raisons? C'est peut-être un peu naïf comme question...

 

Delamore : En fait, c’est vraiment bon de se travestir. Cela embarque instantanément le public, et je suis persuadée que cela altère et transporte aussi le musicien lui-même. Comme lors d’une cérémonie, où l’on s’apprête, où l’on trouve du plaisir à se sentir extraordinaire et à se montrer aux autres. Le costume crée une bienveillante connivence entre les spectateurs et les membres du groupe, on se fait rire, on se trouve beaux, ou moches, en tout cas impossible qu’il ne se passe rien. L’effet est quant à lui double lorsqu’il est unique, pensé pour se fondre à la musique et au reste. Et puis, fait avec amour, franchement; l’amour, ça se faufile entre les fils.  D’ailleurs, le public a des yeux et probablement s’invente des histoires aussi, j’ai confiance en cet imaginaire. Aussi je ne nous vois pas abandonner cette coutume précieuse, que nous avons adopté dès les débuts, moulés de leggings et cols roulés noirs, au top. Depuis, cela change tout le temps, et nous sommes encore pleins de projets démoniaques. J’aimerais que tout ça prenne un jour de la place, oh oui, beaucoup de place. 
Enfin, j’ai bon espoir - et hâte - que bientôt chacun ait dessiné son propre habit de scène. Ce sera une manière intense d’affirmer cinq entités associées mais distinctes. 

 

Han Han : Tu as aussi créé la robe que tu portes sur les photos de Lise Dua que nous présentons sur cette page. Raconte-t-elle une histoire? 

 

Delamore : L’idée m’est venue d’une robe couverte de pompons, et quelques temps plus tard elle était terminée. En couture je marche à l’intuition, et cette robe n’avait que pour histoire cette intuition. Parfois je change de trajectoire en fonction des inconvénients techniques, parfois je les surpasse et le résultat reste conforme à mes fantasmes, comme ici où je n’avais rien imaginé que cette forme et cette couleur. D’ordinaire je bricole plutôt en solo. Or, en regardant les photos de Lise, j’ai réalisé que les histoires naissaient parfois là où on ne s’y préparait pas. Me faisant poser minutieusement, expertement, elle avait mis de la vie là où il n’y en avait pas encore. C’était très beau, mystérieux, inquiétant et doux à la fois.

 

Han Han : Comment te sens-tu lorsque tu crées un vêtement obscurien? En quoi est-il si différent d'un vêtement classique? Et si quelqu'un voulait s'habiller obscurien, il y en a peut-être déjà à Rennes d'ailleurs, comment devrait-il s'y prendre?

 

Delamore : Quand je couds c’est frénétique. Blindée de combustible j’attends l’étincelle et je me lance tête baissée, partant du principe que rien ne devra compromettre mon idée générale de départ - j’entends par-là l’effet, et non nécessairement la forme. C’est bon d’y passer du temps, sans le voir passer, de se projeter, d’imaginer. De fait, le costume obscurien est fait main : imparfait mais astucieux dans sa conception, hors-norme et non-conforme. En accord avec notre goût pour l’épique et les grandes sensations, il est tape-à-l’œil, extravagant, paré de détails car il faut qu’il fascine et qu’il emmène ! Il s’allume, reflète, prend de la place, a besoin de surprendre. Il est blanc, noir, argenté, doré. Je récupère partout ce qui pourrait venir s’y ajouter car là encore tout est réalisable. 
C’est une bonne idée que d’imaginer venir un passant à la mode obscurienne, tout vêtu d’audace, de plaisir et d’énigme. Car c’est de cela qu’il s’agit. Mais, pour s’habiller ainsi aujourd’hui, j’ai bien peur qu’il faille encore passer par moi. Car plus que du tissu, le costume obscurien est un petit morceau d’âme obscure : que l’on se le dise, chaque membre du groupe possède son double en marionnette - faites maison elles aussi - alors gare à celui qui se promène en Obscur sans son mini-lui. 

propos recueillis par Charly lazer

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