

Chloé QFD
Nietzsche : souviens toi d’oublier.
Savons-nous oublier ?
Tout ce que j’écris depuis ce jour-là, (tout, j’exagère à peine) je vois bien que c’est sur elle.
Ou contre.
Un ami m’a confié une fois qu’il a croisé du regard un ancien amour. De quatre ou cinq ans.
Un autre est tellement attaché à ce qu’il était un moment de sa vie, qu’il ne veut plus s’en dépêtrer.
Un autre a chanté qu’on n’oublie jamais la première fille avec qui l’on a baisé.
Une autre m’a raconté avec déplaisir sa première entre les fesses.
Une autre, trop rancunière, je n’en parlerai pas. Un autre également, exécrable celui-là.
Etc…
Alors : savons-nous oublier ?
Je n’ai encore jamais travaillé de ma vie.
Travailler à se survivre, non.
Il y a un travail moins évident, plus éprouvant :
Celui d’oublier.
Oublier tant les mauvais que les bons souvenirs
Mais est-ce tâche réalisable ?
Car oublier ses yeux
Oublier son rire
Oublier sa bouche baisée tant de fois
Oublier la douceur de sa nuque
Oublier son parfum (il me harcèle parfois dans le métro)
Oublier ses seins nus, ronds et lourds
Oublier à quel point ils épousaient la paume de ma main
Oublier ces deux larges médailles de bronze au bout
Oublier l’étendue désirable en-dessous
Oublier l’image de son sexe, les lèvres qui grossissent
Oublier ses kilomètres de cuisses prolongeant un cul tellement…
Oublier ce jean trop (au plaisir des yeux) serré
Oublier le string qui dépassait parfois
Oublier mes doigts qui s’y entremêlaient
Oublier ce poignet fou, incontrôlable devant ces photos
Ou sa main qui s’endormit ce soir-là sur mon nœud
Oublier ces messages érotiques le soir
Ou ces lettres explicites échangées à l’abri des regards
Oublier sa peur d’être jugée
Oublier qu’elle ne voulait pas oublier son petit ami
Oublier l’impasse prévisible des événements (Tristan et Iseult, ça ne s’est pas loupé)
Oublier sa peur d’être jugée
Oublier sa peur d’être jugée
Et (la fin) les mots assassins qu’elle m’a adressés
Pour se débarrasser,
Pour ne pas être jugée,
M’est pénible, bien que le temps, petit à petit, me sépare d’elle.
Tout ce que j’écris depuis ce jour-là, (tout, j’exagère à peine) je vois bien que c’est sur elle.
Ou contre.
Alors : savons-nous oublier ?
Le travail d’oublier se substitue au fond,
A celui d’exorciser (Michaux)
Travailler à sortir ce string de ma tête
Travailler à sortir cette poitrine de ma tête
Travailler à sortir ce sourire de ma tête
Travailler à sortir ce cul (non pas le cul !...) de ma tête…
Exorciser, peu importe le moyen mais exorciser…
En clair nous sommes des parents de Sisyphe
A la différence que la pierre ne retombe pas
Mais toujours grimpe, grimpe…
A quand le sommet et le repos ?
Nulle part. Les souvenirs colleront à la peau jusqu’à la crevaison.
Jusqu’à ce que mon sexe, flasque devenu mollusque inerte et ridicule,
Se décourage et reste mort quand bien même je penserais à ses lèvres qui grossissent…
Farouk Archaoui