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Nouvelle libertine de Charly Lazer

 

Je l'appellerai Klaus

   Et voilà que nos yeux se croisent et je pense si fort que j’ai l’impression qu’elle peut lire au fond de ma pupille noire, comme des sous-titres, «  Toi, je te prends comme une princesse indienne… ». J’ajoute quelque chose mais déjà elle a disparu. Je ne me retourne pas, parce que chaque paire de fesses est un regret de plus. Je vis intégralement pour ces instants où mes pensées s’emparent de mes regards. Un regard peut être plus explicite qu’une braguette ouverte plus une érection en porte-drapeau. C’est comme quand je monte l’escalator en même temps qu’une autre personne, et qu’on va à la même vitesse, et que je la frôle presque, marche après marche. Le mouvement dans l’immobilité. Avancer alors qu’une machine nous tire et qu’elle, tout aussi pressée que moi, me file des frissons dans la nuque. Puis cette personne s’évapore dans une ruelle à droite, et la bouche de métro me mène droit à ma sœur qui vient, dans l’immaculée clinique, d’expérimenter la pire douleur de sa vie. Maintenant elle sourit, et dans sa bouche le bonheur est exaltant et curieux et me donne envie de sauter à pieds joints.  Je regarde ce petit être humain adorable qui rend ma sœur heureuse, et je me mets à être heureux moi aussi, malgré le peu de familiarité de l’endroit (comme le neuf peut être pâle). Elle remarque ma petite mine, et me demande si je pense avoir un enfant un jour. Enfin elle emploie la phrase à l’envers, la question étant posée négativement dans un faux-semblant rhétorique. Je lui dis que peut-être qu’un jour, alors qu’en fait j’ai toujours mieux su ce que je ne voulais pas que ce que je voulais vraiment. Je m’assieds, et je me mets à dresser une liste des filles que je fréquente avec qui l’idée pourrait quand même être envisagée. Je procède par élimination, selon certains critères à commencer par le style de vie, mais vite je comprends que je suis seul et que c’est tant mieux, mes aspirations authentiques ont de beaux jours devant eux. En repartant, je recroise la fille du début, celle qui entrait quand je sortais, elle me sourit, et je commets l’erreur de me retourner.

  

   A la maison, je glande dans le salon, et sur mon ordinateur, une copine me propose de passer la rejoindre. Une paella que sa mère lui a filée, il en reste, elle ne pourra pas tout manger. Quand elle ouvre la porte épaisse et cirée, je suis pimpant avec mon sourire et mon paquet. Elle porte une robe vicieuse, et du rouge à lèvres trop rouge. On s’avance pour se faire la bise, et nos nez se frôlent. Elle me serre un verre, je lui demande ce qu’elle a fait aujourd’hui, pas grand-chose, moi non plus à part me branler deux fois, elle se penche en avant, elle porte des bas, je sens que j’ai chaud aux paupières, j’ai mal dormi cette nuit, je lui dis, de ce fait j’ai droit à un autre verre de la cave de son père. Elle ne sait pas que je ne tiens pas l’alcool, On n’a jamais parlé de boisson. Je lance le sujet. Elle tient le bon bout, mais j’ai l’oreille distraite ce soir. Je repense à ma sœur, et je la coupe pour lui apprendre la nouvelle. Elle pique rouge, je crois qu’elle m’en veut, mais en réalité dans sa voix je sens plus comme une compassion. Fais chier, elle a dû mal interpréter ce que je lui ai dit. Je lui balance qu’un jour j’aurai sûrement un gosse. Elle me dit qu’elle aussi. Je lui demande si elle sait comment on fait. Elle me répond « quoi ? » puis elle comprend et elle rit en s’étouffant, je lui tends mon verre et elle le vide. Je regarde le vin couler dans sa bouche et mon sang s’engouffre dans ma verge sans retenue.

Paëlla terminée, je prends ma veste et je lui propose de sortir racheter une bouteille, elle me retient, me plaque contre le mur. Son genou appuyé contre mon bas-ventre. Je suis fait prisonnier, résigné je ferme les yeux et à l’intérieur de ce spectre je suis un corps qui tournicote et dessine des spirales polychromes. Il y’a aussi une étoile qui brille très fort. Pendant que sa main s’active à ouvrir ma ceinture en cuir, j’ai la mienne dans ses cheveux, et je la plonge à la recherche de son cuir chevelu. L’instant du contact coïncide avec le jaillissement de mon sexe sur lequel elle se met à tirer si fort que j’ai l’impression que mon gland va s’envoler comme une balle de ping pong, et en même temps j’ouvre grand la bouche, et je me dis qu’il pourrait taper contre le mur et me revenir dedans, je me sens un peu idiot mais ce qu’elle me fait est si grand. Je n’arrive pas à me retenir et je lui dis je t’aime, avec son prénom derrière. Elle s’arrête. Me fixe dans les yeux. Je mets ma main devant ma bouche, elle descend pour prendre mon sexe déjà humide sur sa langue pleine de salive. Après avoir gémi pendant 5 minutes comme un adorable petit puceau, je la relève de force, je la soulève, je la retourne, elle se retrouve la tête en bas, les cheveux baignant dans l’air, et je me glisse entre ses lèvres en léchant son intimité maladroitement car je marche vers sa chambre.

   J’arrive pas à réfléchir, le réveil indique en rouge une heure du matin comme pour me prévenir que quelque chose de pas clair va se passer, puis il est une heure une, et rien n’a changé. J’ai envie de me coller contre elle, sentir son corps endormi qui émerge en hyperespace d’un monde auquel je n’aurai jamais accès. Au lieu de quoi, je reste là, allongé sur le dos et je m’endors, comme on essaie d’attraper un train quand on est en retard, en me demandant à quelle heure il faudra que je la laisse demain matin pour faire bonne figure.

   Quand j’ouvre les yeux, la lumière du jour me pénètre par tous les pores. Je me gratte les yeux, oublie dans ses draps deux trois cils et des poils, et je l’appelle. Son prénom raisonne. Je me lève et je perds l’équilibre, je me tiens à une commode et j’avance. Je ne reconnais pas l’appartement. Il y’a mon pantalon dans le couloir et je l’attrape pour l’enfiler. Sur la table du salon, à côté de nos verres au fond desquels le vin a séché, un mot avec un papier dessous m’indique un départ précipité, le travail, pas le temps de me réveiller, a quand même tenté en me tapotant sur l’épaule. Il y’a du café et des biscuits de petit déjeuner, très bien. Je peux me servir, prends une douche si tu veux. J’écris merci, et je remplis un gobelet et quitte son appart qui sent bon la lavande. Dans le métro, il y’a des femmes avec des landaus et je les trouve vachement agressives derrière leurs airs de vieilles filles sous anxiolytiques. On dirait vraiment qu’elles sont passées à côté de leur vie. Un peu comme on loupe un train, on court un peu et on finit par le regarder s’en aller. J’ai pitié et puis ensuite, je me sens agressé. Je cherche un bouquin au fond de mon sac, et lorsque je lève la tête la rame est bondée. Il n’y a plus que des poussettes, partout, c’est calme mais j’angoisse d’un coup, serrant le barreau en métal. Tous ces caddies à bébé me font hurler, d’un coup toutes les mères se plantent un doigt dans les oreilles. Je sors en courant au premier arrêt et derrière moi les pleurs s’élèvent. Je cours si vite que seul l’écho me parvient, lointain. A l’air libre, je prends une grosse respiration, les mains sur les genoux, je crache, je crache toujours quand j’ai l’impression d’avoir croisé un sale courant d’air. Il y’a du café dans ma salive. Une jeune femme vient me demander si ça va. J’ai envie de lui dire que oui mais je reste là. Elle s’inquiète, me demande si je veux qu’elle appelle quelqu’un. Je vois ses chaussures, des escarpins qui contrastent avec sa voix. Silencieux, j’entends ses talons qui frappent le sol pour montrer sa détermination à me venir en aide ou sa panique. Elle pose sa main sur mon dos.

   La terrasse de ce bar me rappelle quelque chose. Je fixe mon verre de jus que je n’ai pas choisi et elle voit bien que je suis circonspect, même si c’est un air que je me donne vu les circonstances. Elle veut savoir mon nom, qu’est ce qui a pu faire que je me retrouve sur son chemin ce matin, le nom de mon parfum, si j’ai un job, où je vis, si je lis des bouquins, quels bouquins, si un cinéma ça me dit ce soir, ce que j’aime manger, et elle m’invite finalement à diner. Quelle bonne femme ! Quand je me pointe chez elle, à vingt heure deux, je suis rasé. J’ai tenté de me coiffer, elle me reconnait à peine. Elle porte une jupe qui la moule et elle me dit qu’elle ne porte que ça, que ça impose un certain leadership, c’est vrai qu’elle fait très femme fatale, tout en laissant une place à sa « sensibilité de femme hédoniste du XXIème siècle ». Elle glisse un bouquin dans mon sac, et elle me prédit une belle expérience. Quand on décide de faire l’amour, elle me prévient qu’elle ne prend plus la pilule. Je lui demande pourquoi. Elle me prévient juste. Entre ses seins, un crucifix en or. Entre ses reins, j’explose la capote, et puis j’explose tout court.

   Chez moi, je prends le bouquin dans mon sac, j’allume la chaine hifi, un cd de Sylvain Chauveau se met en route. Dans la salle de bains, un papillon de nuit se cogne contre la petite lumière qui sert habituellement à se recoiffer ou à se remaquiller, ou encore à pleurer dans une semi obscurité quand rien ne va et que j’attends que la température du bain soit excellente. Ce papillon de nuit traine là depuis des jours, j’ai déjà essayé de le faire sortir, en plein jour, mais rien n’y fait. Il reste là, à se cogner la tête.

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