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L'Après-Midi

         au Musée

   C'était deux jours après les attentats. Pour une fois, il n'y avait pas la queue devant le musée d'Orsay. Mais c'était plutôt triste. Pas vraiment une aubaine. La dame au vestiaire, le genre d'hôtesse d'accueil qu'on se tape à la poste quand on est pressé ou au conservatoire quand on veut juste une salle de répet', sans même me lancer un regard ou un bonjour, continuait sa conversation sur la terrible absence de vitrine de noël cette année en conséquence « des événements ».

 

« La prostitution et le vol sont deux protestations vivantes, mâle et femelle, de l'état naturel contre l'état social. »

 

Bienvenue dans l'expo. C'est drôle parce que je viens de finir « Splendeurs et misères des courtisanes » de Balzac, parce que c'est la suite d' « Illusions perdues », alors, j'avais envie de voir l'expo. Pour moi, c'est toujours un peu bizarre d'aller à Orsay maintenant que ma mère n'y travaille plus alors que j'y ai passé tant de lundis. C'était du temps où les expos « avaient un sens, n'étaient pas faites pour attirer tous ces connards qui ne regardent rien. Des bourrins. Du cul du cul du cul. Un jour, ils se rendront compte à Abou d'Abi que les tableaux sont obscènes et ils feront tout cramer, et puis c'est tout. De mon temps, on échangeait les tableaux, on prêtait, maintenant, c'est de la location, ni plus ni moins, comme pour les bagnoles ».

 

   Des Toulouse Lautrec, des Degas, des Bonnard et d'autres. La plupart représentent des actrices, des danseuses, des chanteuses, des prostituées (je me pose alors mon éternelle question sur la frontière entre ces différents métiers). On reconstitue une chambre, un lit de Vénus. Il y a la même chaise qu'à l'expo « Paris 1900 » qui permet de pratiquer certaines positions sans se faire un tour de reins. Des photos, des registres, les filles étaient fichées à l'époque, apparemment, ça les protégeait d'un point de vue sanitaire. Des noms, Appollonia, La Goulue, Nana. Ha Nana ! J'avais halluciné en le lisant. Un classique de chez classique dans lequel il est question de partouzes, de lesbiennes, de prostitution de luxe ou pas. Cette fille qui déteste les mecs mais s'en sert jusqu'à la moelle pour se venger de sa misère sociale qu'elle regrette presque quand elle se sent trop liée et installée. Je repense aussi à « l'Appollonide » le film de Bertrand Bonello qui dépeint une maison close.

 

   Tout à coup, un « cabinet secret ». Interdit aux moins de 18 ans. Là, c'est fou. Des photos amateurs. De filles, de couples, hétéro ou homo. Je suis très amusée. Ce sont de tout petits formats. On les regarde avec des daguerréotypes. Un couple sur une chaise. Une motte. Les couloirs sont exigus et on est un peu serré. C'est limite gênant. En plus, la plupart des autres visiteurs sont des retraités à chaise-pliante. Je me dis que je vais encore passer pour une cocotte. J'aime ça. « ha v'là la cocotte du pianiste » « elle est cochonne ! » Ca doit taper dans mes origines bourgeoises. Je dompte ma gêne pour regarder en entier un petit film dans lequel on voit un couple se déshabiller (dans une chambre qu'on imagine à l'Hôtel Du Nord, avec plein de froufrous et de draps) puis se livrer au classique missionnaire. Je sens que je rougis. Ces films ont-ils leur place dans un musée ? Pourquoi regardons-nous ça à plusieurs ? Il serait aussi simple d'aller sur internet, non ? Est-ce qu'on n'utilise pas le tampon culture pour justifier notre besoin de voyeurisme ? N'est-ce pas tout simplement un alibi pour mater ? Je m'étais posée ce genre de questions devant « Et dire que nous allons vieillir ensemble » un spectacle des Chiens de Navarre. Un type faisait l'hélicoptère avec sa bite pendant un quart d'heure. Devant une salle d'intellos parisiens, à priori plutôt snobs. Et pourtant morts de rire. Moi, je n'avais pas ri. Alors qu'en assistant à la même scène, mais en privé, à chaque fois, je rigole. Comment savoir quand on nous sert du cul pour nous vendre quelque chose, des tickets de musée, de théâtre, des télés ou de la bouffe, et quand est-ce qu'on est fier de vivre dans une démocratie où la représentation en est permise ?

 

   A l'air du numérique, du digital, de Tinder, quand on peut imaginer que bientôt on pourra s'acheter un hologramme super-partenaire sexuel qui réalisera tous nos fantasmes et exécutera sur commande tous les gestes qui nous font jouir, et bien, moi, je lis « L'éducation de Laure » de Mirabeau et me rince l'oeil dans des salles de théâtre ou d'exposition. Ce n'est pas vraiment par esprit réactionnaire, c'est juste que je n'aime pas la pornographie parce que qu'elle ne m'excite pas, je suis plus sensible à l'érotisme, et ça apparemment, c'est très vintage...

 

    « Tu te prends trop la tête, petite cérébrale ! » dit-il en attrapant ma ceinture de sa main gauche. J'adore quand il a ce geste un peu dominateur. « Je vais te faire arrêter de penser, moi ». Automatiquement, je sens des fourmis dans mes fesses. C'est comme s'il avait une télécommande pour m'exciter même à distance. Petit spasme interne. Herse, herse, vase, couronne. Je suis mouillée. Chaque pas dans l'expo est une caresse de mes deux lèvres. Bonheur, avant la sortie, il y a ces toilettes dans lesquelles personne ne va jamais, je connais cette cachette, c'est un souvenir d'enfance. Je le prends par la main. Il me place devant lui, face à la glace. Il bascule mes hanches avec ses mains. Glisse sa main sous mon pull , maltraite mon soutien-gorge. J'aime nous voir dans le miroir mais j'ai peur qu'on nous surprenne, je l'entraine dans le cabinet. Il s'assoit, et moi sur lui, de dos. Sa queue qui m'écarte, doucement d'abord, puis fort et doucement en même temps. Sa main sur ma bouche, tendre, protectrice. Nous ne faisons aucun bruit lui en venant, moi en partant. La fin de l'expo reste un souvenir un peu flou, j'ai les jambes cotonneuses. « Un peu de morale ne gâte rien, c'est le sel de la vie pour nous autres, comme le vice pour les dévots. »

 

 

 

Un texte d'Anne Freches

Olympia, Edouard Manet

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