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LOIN DES YEUX PRES DU CORPS

   C'est le matin et j'ouvre encore une fois les yeux. Emmitouflé comme un poupon qu'on aurait peur d'étouffer, je l'entends me raconter ses rêves. Ils peuvent être sexuels, ça se peut aussi que ce soit toujours les mêmes et qu'ils me disent vaguement quelque chose. Depuis ces draps acides, j'entends la brume monter. Le chant des syrènes perdue dans une phase transitive d'inconscience et de calculs mentaux sur le temps qu'il me reste, un temps négatif; pour être à l'heure au travail aucune chance. Je fais un saut sur trois-w-point-evilangel-point-comme si j'avais une heure devant moi. Puis trois soubresauts. Si Dieu existe, il a pris sa douche. 


   Si la brume était une fille, elle m'enverrait des mails avec des mots d'une ivresse telle que je pleurerais en les ouvrant, une seconde fois en les lisant, puis une troisième en mettant mon téléphone en veille, et ainsi de suite jusqu'à ce que mes tâches journalières s'accomplissent et que je puisse me recoucher en regardant de mes yeux rougies les rayons de reverbères danser contre le mur blanc où sont punaisées des filles avec de superbes culs sur lesquels j'ai écrit des poèmes difficiles à lire. La brume s'est installée tout autour de chez moi. On dirait des fantômes naturistes. On voit pas plus loin que le bout de son nez. Les voitures roulent comme si elles étaient à pied. Tout le monde a l'air amoureux, triste et joyeux. Tout le monde a ralenti, tout le monde me ressemble, tout le monde en retard. la brume a réduit le temps comme une peau de chagrin. Je me couvre d'elle, quand à mon arrivée au bureau des yeux ronds me fixent, la bave aux lèvres, avant de me demander de bien vouloir rentrer chez moi en me tenant la porte. J'ai jamais d'excuse valable. Je m'arrête dans un café qui ouvre tôt. L'homme qui le tient n'a plus de cheveux mais un accent. Il me sert un thé avec deux sucres et un speculoos que je regarde ramollir dans l'eau chaude. Je lui écris comment j'ai perdu mon boulot. Elle prend ça du bon côté. Elle me dit que je vais pouvoir envisager de vivre, qu'il faut que je prenne ça comme un signe du destin. J'y ai jamais cru. Tout ce dont je suis sûr c'est que, jusqu'à maintenant, j'ai toujours aimé prendre le temps de vivre au hasard. Je regarde le chauve qui passe le torchon sur son balatum, il me sourit. 

 

   Elle s'est passée du vernis. Elle en est fière, ça se voit à sa façon de se tenir, la main en l'air par dessus ses cheveux remontés sur son crane. Elle m'a confié qu'ado, ses mains faisaient l'unanimité chez ses amants. Un type costaud passe des hits de brit-pop en tapant violemment du poing sur sa cuisse qui doit être bleue, en parlant avec un peu tout le monde. Il porte du rouge à lèvres qui change de couleurs à chaque fois qu'il fait une moue. Il m'embrasse, me dit qu'il est heureux, qu'il veut m'épouser demain et qu'il me déteste. Je m'approche enfin d'elle.  Je fais pas exeuprès. C'est le tapis qui glisse tout seul, il est aspiré par ses chaussures, des petites chaussures minuscules de cuir qui brille. Elle n'est plus qu'à un mètre, voire même moins que ça, quand je vois son visage disparaitre dans le cou d'un grand garçon aux cheveux longs avec qui elle parle, des nano-cheveux, très clairs, tellement fins, tellement doux qu'il lui enserre les fesses un peu comme si c'était une balle de base ball qui risquait de se briser. Il porte d'ailleurs un gant de base ball. Ca pourrait être sa main. 

 

   Je lui raconte mon rêve merdique. Comment le barman est venu me réveiller en me mettant un coup de savate ou de chiffon, avant de barabouiner un truc en patois qui ressemblait à “Tu devrais rentrer chez toi ptit, t'as l'air bien fatigué. Fais toi couler un bon bain. Je t'offre ce thé. T'es l'bienvenu, r'viens quand tu veux”. Elle me dit qu'elle se marre toute seule devant son ordinateur, que ce licenciement est une aubaine si je réussis à m'endormir au milieu d'un troquet qui fouette. Elle me dit “merci d'exister”. La brume.

   Le soir, je suis à un concert, à un moment ma main entre en contact avec la bosse de mon pantalon sous laquelle se trouve ma verge. Au même instant une amie de longue date se glisse dans mon champ de vision, et je ressens un truc très doux, irréel, inattendu, qui fait un bien fou. Je pense au porno que j'ai regardé ce matin avant d'aller travailler, avant de me faire virer, et je ressens pas trop de honte, au contraire, je trouve ça presque cool. Un peu comme souvent alors que je vais au cinéma crevé et que sur la route je me dis que je ne serai jamais à l'heure pour la séance mais que j'y vais quand même, et que j'arrive pile à l'heure, et que c'est la toute dernière séance dans toute la ville. Une sensation divine. Elle me dit qu'elle va s'en aller. J'essaie de savoir où, mais j'y vais à tâtons, parce que sinon elle va me griller, je veux rester cet agent secret de l'amour. Maintenant que l'on me refuse la vente d'assurances indemnité-coeurs-brisés, j'ai décidé de me reconvertir et je suis mon tout premier client. 


   Le lendemain matin, j'ai décidé de sortir me payer des petits pains et de la citronnade. Faut que l'agent secret soit opérationnel. J'ai passé le plus clair de ma journée dans le canapé à zapper sur l'écran, à tomber que sur des films qui avaient déjà commencé, à essayer d'en saisir l'intrigue, à manger des biscuits à 2euros70 les trois paquets que j'ai pas réussis à ne pas acheter car je savais qu'en les voyant j'en aurais trop envie. Je me suis endormi bien entendu sur le canapé en écoutant un album de Hood quand mon coloc est rentré et m'a vu là. J'avais un peu honte. Il m'a demandé “tu ne bossais pas aujourd'hui?” j'ai menti car je me sentais un peu ridicule de m'être fait virer. Derrière ce mensonge censé me faire gagner du temps, je me voilais la face. J'ai pas arrêté de penser à elle, et à relire le dernier texto que je lui ai envoyé, sans vraiment me dire que j'avais le droit d'en réécrire un vu que c'était le mien le dernier. Elle était pas obligée de répondre, à l'intérieur je lui demandais rien de particulier. Je crois que j'étais pas trop fait pour être un détective privé. Là franchement j'étais juste une publicité pour le chômage. J'avais même du chocolat au coin des lèvres.

 
   Y'avait minuit pile écrit sur mon smarphone. Je trifouillais des bricoles. Mon téléphone s'est mis à bondir sur le lit derrière moi. C'était pour dire qu'elle pensait à moi. Que l'air était plus doux qu'à la ville. La musique de la vie plus rose aussi. J'imaginais un endroit sur terre dépourvu de voiture. Sans mobylette. Je l'imaginais voguant de musées en galeries, traversant des baies bitrées sur la canicule. Je pris un vieux cd et regardai les reflets de lumière que ça faisait. Elle était l'essence de ma vie. Plus je la lisais moins j'avais de vêtement, plus je disparaissais de la surface du globe en m'enfonçant tête bêche sous sa robe. Elle allait dans une soirée un peu spéciale, emmenée par des amis qui lui avaient mis un masque. Elle ne voyait donc rien de ce qu'elle écrivait, sûrement faisait-elle confiance à ses doigts et à ses pulsions. Certains mots demeuraient incompréhensibles. Certains autres prenaient un sens nouveau et faisaient mouche dans mon cerveau transi. Je me couvrais d'un plaid pour la lire et respirer de plus en plus fort. Mes poumons pompaient tout l'air carbonisé de ma chambre. Elle était excitée. 

   Avant de sombrer dans un sommeil de onze heures, j'ai fixé le mur et y ai projeté mon imagination. La longue berline noire balaie les feuilles oranges et dessinent un chemin vers un palais au-delà des forêts qui forment un buisson horizontal voilant les étoiles et le ciel. Carlo, un bel ami conduit. Il est italien, il est très beau, il a la tête ronde et une barbe idéale. Il porte un costume de qualité irréprochable. Ils sont quatre dans la voiture. Ils roulent et tournent à un moment, en sortant des sous-bois. Une grande demeure mystérieuse se loge là. Elle porte une robe si près du corps qu'on peut voir qu'elle ne s'est encombrée d'aucun sous-artifice, plutôt mourir. Elle marche quelques pas, en riant. L'air est plus frais que dans la bourgade en contre-bas où ils burent quelques verres de vin sans compter. Ils s'amusent tous les trois et la bousculent, ravis de la conduire à cette fête surprise. Ils lui donnent la main et l'aident à monter les marches. Julio qui est fin comme une brindille frappe à la porte si fort que ça la fait sursauter non une fois mais deux et ça lui file le hoquet...


   Le rêve de cette nuit là paraissait tellement réelle qu'en me réveillant je me demandais si j'avais réellement perdu mon job et je relus nos échanges. Je travaillais, au même endroit qu'auparavant, tout le monde avait l'air de m'aimer encore assez pour me garder en leur sein, des seins d'ailleurs il y'en avait plein le plateau. De toutes les formes. Comme les bites d'ailleurs. Filles et garçons ne portaient que leurs poils pour ceux et celles qui avaient fait le choix d'en porter. La dernière loi en vigueur imposait la nudité au travail. La gauche avait crié à l'injustice puisque nus les salariés perdaient un peu de leur humanité, soi disant. L'autorité suprême, elle, évoquait l'égalité de chaque travailleur dans une entreprise comme principe émancipateur. C'était une étonnante découverte que le corps de ses collègues. Ca devait faire quelques mois car j'avais beau aller de découverte en découverte, je ne portais pas le moindre jugement. Mais on sentait bien que certains avaient repris le sport, certains muscles s'étiraient, des courbatures dont se plaignait mon voisin. En me réveillant j'ai essayé de repenser à ce que j'avais vu, remettre les corps avec les souvenirs rafraîchis de mes collègues, les corps ne coïncidaient guère avec les visages, j'étais perplexe.


   J'ai eu envie d'écrire un guide sur comment ne pas rendre une fille amoureuse. Je voulais voir si porter des habits nuls, voire pas très propres ça pouvait aider. On a fini par se donner rendez-vous une quinzaine après ce rêve étrange sur la nudité qui m'a donné à méditer sur le rôle de l'habillement, j'étais habillé comme un sac. J'attendais assis autour de la fontaine, je scrutais le lointain. 

Texte de promixité de Charly Lazer

Illustrations de promiscuité par Adley

 

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