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LUMBAGO

   Lorsqu'il ouvre les yeux, une lumière tourne au-dessus de lui, son téléphone vibre sous le matelas, les voisins jouent du piano. Il se lève, enfile un pantalon qu’il n’a jamais vu, un cadeau d'anniversaire à peine déballé. Il boite, s’accroche au mur, respire dans un grondement. Il se tient la fesse, dure comme le plâtre. Il fait si chaud dans le salon, souvent quand il se couche tard le soir il a mal au cœur et se demande s'il est déshydraté et s'il va pas mourir. A peine allongé sur le large divan, il applique un va-et-vient lent à son entrejambe, s'évertuant par la même à faire connaissance avec l’inconnu de teinte brune qu'il trouve doux et bien coupé. Machinalement il caresse un sexe gonflé qui semble se dissimuler dans une poche. Les jambes en équerre. Les orteils de ses pieds peints en rose, ou en magenta flou.

 

   Un mois et demi auparavant, il avait reçu au courrier trois feuillets manuscrits d’une personne avec qui il se souvient avoir échangé plus que des mots plus d’une nuit, et qui avait jugé bon de lui exprimer sur papier libre ses sentiment ainsi que ses ressentiments. Il pense qu’il aurait pu consacrer cette journée à la rédaction d’une réponse, mais allongé ça non, hors-de-question. Il songe qu’écrire dans cette posture est tout bonnement impossible alors il se met à plat dos en jurant que l’écriture est une torture car tous les stylobilles sur le marché du stylobille demeurent inexploitables allongé.

 

   Soudain un de ses colocataires, celui qu’il ne parvient à porter dans son cœur, jeux et putes et drogues, dévale les escaliers. Ce pauvre mec aux cheveux et au tempérament lisses sort prendre l’air. Son ombre dans la rue trépasse alors qu’une autre plantureuse se contente de passer. Un parfum inonde l’espace, une fille vient d’entrer, s’est assise juste derrière, sur un fauteuil cousu main par de vieilles dames disparues, elle tend ses doigts propres pour lui prendre les cheveux, les tirer en arrière, libérant son âme, dénudant son front. Poursuivant le geste jusqu’au portail de son pantalon, entrouvert car sans ceinture, ses ongles commencent à graver sur sa verge. Le plaisir l’attirant, et ses yeux se retournant, il reconnait son visage bien qu’à l’envers. C’est Ruelf, enfin Fleur, une fille gentille, ils se croisent dans des bars, à des concerts, elle le branle dans son pantalon qui vient de nulle part, ça dure un temps, et repart en prenant soin de fermer.

 

   Il se brosse les dents, sans savoir pourquoi, il jette sa brosse aux chiottes et tire la chasse qui jamais ne s’arrête de couler à l’instar des larmes de Paula qui vient de faire irruption dans sa nuque. Elle raconte en tremblotant comment elle s’est fait choper au sex-shop par un niak. Quand Paula pleure raciste il lui la mettrait bien entre les fesses avec tendresse. Elle ne dit pas non, baisse son pantalon et vient s’empaler sans huile sur sa mécanique en ondulant. Il ne porte plus le cadeau d’anniversaire mais un autre pantalon qu’il avait aimé puis oublié, un ex-pantalon. Il la regarde monter et descendre et chialer, il voit son enfance, sa jeunesse, il aimerait pouvoir se mouvoir mais lumbago, lundi et une larme explose sur ses couilles.

 

   Il essaie de s’étirer, son corps est en mauvais état, alors il se prélasse en la regardant faire le thé. Elle noie le petit sachet en dentelle de Calais dans l’eau fumante, Alice approche avec une seule tasse au sourire rouge foncé, elle a la raie au milieu, il ne se souvient pas l’avoir vu coiffée de la sorte, elle s’assied sur un pouf. Il est désormais en short. Elle remonte la main depuis son genou et tire dessus. Elle dévoile la peau et son sexe sort blotti contre la cuisse. Alice le presse pour sortir intégralement le gland, ce qui le fait bander bien entendu. Puis elle approche la tasse chaude, la vapeur montant humidifier la muqueuse dénudée. Il sent le chaud, la cuisse malencontreuse entre en contact avec la tasse. Il gémit. Le sexe plonge dans la porcelaine millimètre après millimètre. Il prend la température dans les yeux d’Alice qui scrute la moindre réaction de son sexe comme un gosse qui voit un volcan en éruption pour la première fois. La main de l'étudiante étrangle ce qui n’est plus qu’un monticule de veines hypersensible dans un brasier qu’on étouffe. Il n’arrive plus à respirer tellement c’est bon.

 

   Il renifle le bout de ses doigts après les avoir laissés trainer hors du divan comme deux jambes qui se balancent par-dessus le pont d’un bateau et viennent surfer à la surface de l’eau. Ils sentent la rose, et il songe un instant à la sensation que ça ferait si quelqu’un lui caressait les pieds avec des roses cueillies sur le parquet du salon. Un poing frappe plusieurs fois à la porte. Il crie d’ouvrir. La boite aux lettres s’ouvre, la petite voix mignonne de Margot s’y glisse et l’onde traversant le long couloir exigu parvient à l’oreille qui n’est pas plongée dans un coussin. Instantanément il visionne ses lèvres idéales faire leur petite moue trop chou dans le trou. C’est fermé, qu’elle entre. Elle enfonce la porte. Ça fait beaucoup de bruit, les voisins ont disparu dans une autre galaxie sinon ils seraient à leur fenêtre. Le thé est froid, mais comme elle adore le thé glacé elle le boit. Elle le trouve un peu corsé. Son père est partie à la guerre ce matin et elle est bien contente, il va bien s’amuser. Il lui demande si elle aussi, en remarquant le rétrécissement continu de sa jupe, il se demande si c’est sa voix qui l’ensorcelle. Ils débattent politique un instant, en riant car ils savent qu’ils vont être élus et qu’ils n’auront d’autre choix que de tout changer. La vie est une autoroute dans le sens du départ, avec des parents absents et des enfants qui demandent si on est bientôt arrivés, les patients sont déjà au bout de leurs rêves. Sans bouger les lèvres, il lui dit qu’il a juste envie de la sucer, que la démocratie peut attendre. Elle le regarde avec ses yeux qui tirent sur ses tempes et lui donnent l’impression d’imploser. Elle enjambe son visage muet qui respire à allure régulière, un petit souffle qui lui caresse la peau là où c’est le plus sensible et sans attendre qu’elle se baisse, il lève la tête et l’embrase. Il sent la douleur galopante et attrape ses belles hanches insoupçonnées pour reposer la nuque dans son écrin. La vie est un cadeau qu’il faut épouser dès qu’on le peut, en jouir, et puis changer le monde. Sa langue fait révolution sur révolution autour de son clitoris et l’écoutant gémir et l’appeler il remarque, en levant les yeux vers sa chevelure ondulée, qu’elle lui dévoile son visage dans le reflet d’un miroir, que ses lèvres ne bougent pas, et que son prénom continue de raisonner entrecoupé des murmures les plus mignons qu'il ait jamais soupçonnés.

 

   Lorsqu'il ouvre les yeux, il n'y a pas grand monde autour de lui. Un livre de Tao Lin posé ouvert de biais et la lampe de chevet, le jour nouveau balayé de vent matinal s'étouffe en gémissant. Une goutte glisse sur sa tempe, jouissance pense t’il alors que sa main touche le bas de son dos et qu’aucune douleur ne l’affecte. Tout va bien. La maison est vide, il s’assied et pleure, puis rit allongé par terre.


 

Une nouvelle écrite par Charly Lazer et illustrée par Joséphine Lesaffre

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