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OBSOLESCENCE DEPROGRAMMEE

   Armance était encore allongée dans le canapé du salon quand j’entrai, la tête posée sur un coussin crème, sculptée par le plasma de la télévision. Une clope toujours à proximité de cette bouche de trente cinq ans, épaisse, qui avait accueilli des choses bien moins catholiques - peu importe le tabac; ces anciennes choses lui avaient valu pendant un temps mon amour.

   Ça faisait cinq ans qu’Armance avait échoué sur ce canapé, juste après qu’elle fut virée de l’Abîme. Cinq ans qu’elle avait passé cette annonce d’opératrice à 15 balles la ligne, et donc cinq foutues années que ces peigne-culs de charognards passaient leurs soirées avec la voix de ma femme, à jouer avec leur foutre.

 

   Entrée coté cour, un « salut chérie » mécanique sans \mo.diʁ\. Pourtant cela faisait des mois que je passais mes soirées dans mon vieux Mazda, à écouter des disques et à boire de la bière, garé dans l’allée sous le palmier. Des mois que, par je ne sais quel complot, tous ces gars de la middle class avaient décidé de se palucher sur le flot d’ondes buccales de ma femme, dés l’heure de la débauche, ma débauche. Débauchés.

   L’autoradio du Mazda venait de lâcher sur le trajet, un cd gravé bloqué dans la fente. Tragique. Alors je campais là, debout à coté d’elle, le soleil encore haut, tout repère perdu. A la télé, un public quelconque se bidonnait devant un ventriloque sur-éclairé, les pâtes longues et le bras fourré dans le con de sa marionnette - caricature de guenon. Armance avait coupé le son, alors je décidais, un temps, d’imaginer la conversation entre l’homme et son ventre…

   La cigarette se consumait dans le vieux cendrier crasseux, parmi les pelures d’oranges et les coquilles d’œufs écalés. Le téléphone sonna. Armance décrocha au bout de la troisième sonnerie, sa mine changea à la seconde. Elle enroulait le fil du téléphone autour de son doigt peint et brillant. L’épais brouillard de cigarette couvrait largement les odeurs de vernis et d’orange amère. Une brume de voix d’homme sorti du combiné. Je m’assis et Armance mit le haut parleur.

   Ô divine Armance! Que tes cheveux sont bien jaunes et tes yeux biens bleus, trois grains de beauté sur la joue et le nez mutin.

   La langue déliée et reptile, claquant contre son palais et l’ivoire de ses dents. Les yeux pleins de vie, pleins de vices. Les seins fermes et pleins, pointés vers le ciel, bougés au rythme de tous ses mots assénés. 4000 ans d’évolution sont peu payés parfois quand on y pense.

   Je m’imaginais l’autre ahuri, une main à l’oreille et l’autre serrant son vît, le regard dans le vide. Bavant et grommelant, dans sa salle de bain noyé dans l’écho de sa propre misère, projetant ses fantasmes d’adolescents sur la voix de cette créature à la peau et à la voix claire - manquait plus que les ailes. Plus rien en dedans - juste cette peau délicate, depuis trop longtemps absente, depuis trop longtemps disparue. Très loin de la peinture et des coups de crayons gras, loin de la viande et des os.

   Armance raccrocha le combiné, il était 18 heures, la cigarette n’était plus qu’un long bout de cendre anthracite. Consumée jusqu’au filtre, c’est derrière cet épais filet blanc de fumée qu’Armance me fit voir ses grands yeux humides, profonds comme l’abime.

   Tout n’était finalement pas perdu.

Une nouvelle de Gustave

Un Collage de Marjorie Dublicq

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