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un article

sur le dernier Palahniuk

par Johnny Boom

   Le pitch de SNUFF est d'une simplicité biblique : Cassie Wright pornostar en fin de piste décide de s'attaquer au record du plus grand gang bang de l'histoire détenu in real life par Annabel Chong (250 partenaires successifs pour les incultes) afin de se retirer en paix du chaud business et asseoir pour l'éternité sa légende personnelle. Dans une salle où se passe l'essentiel du récit, 600 hommes avec un numéro sur le biceps attendent donc de baiser Cassie, en grignotant des chips barbecue… Égalité des chances. Unité de lieu. Testostérone et fierté du travail accompli. Le rêve humide américain, avec la lune de miss Wright comme nouvelle frontière.

   La journée défile sous les perspectives alternées de 4 personnages : Numéro 72 (jeune puceau éminemment sympathique biberonné aux poupées gonflables de Cassie), Numéro 137 (un acteur minable qui essaie de lancer un comeback), numéro 600 (un vieux routier du X qui a défloré Cassie Wright dans les années 70, et qui est peut-être le père de numéro 72, qui est lui-même peut-être le fils de Cassie), ainsi que Sheila l'assistante personnelle de notre héroïne. Avec ce peu d'éléments dont dispose l'auteur Chuck Palahniuk, l'empereur du minimalisme "larger than life", un univers complexe se met en branle, oscillant entre dialogues de vestiaires de foot, burlesque libidineux et tragédies shakespeariennes. Un curieux mélange de sperme et d'eau de rose.

   Dans un monde à peu près normal, Chuck Palahniuk, dont Snuff est le 9eme roman, serait la superstar littéraire du millénaire. Ses romans sont sauvages, cinglants, imprévisibles et pourtant d'une étonnante accessibilité (environ dix punchlines à la minute). Surtout il synthétise la culture pop, donc notre inconscient collectif, mieux que personne : cinématographie frénétique, références aussi radicalement mainstream que parfaitement obscures, cliffhangers en rafales, gimmicks à gogo, et manipulation totale du lecteur. Il était donc logique qu'il offre à la génération Youporn son roman sur la frustration et le désir industrialisé. La salle d'attente est une superbe métaphore du subconscient sexuel masculin, une antichambre entre terreur totale, assurance savonneuse ("En quoi un gang bang est-il moins risqué que de tenter l’ascension de l’Everest ?") et rapport compliqué à la maman. Malgré un thème de départ putassier, qui fait craindre le pire, l'habituelle mécanique palahniukienne se met tranquillement en place, télescopage de personnages déglingués, anecdotes à foison (on apprend entre mille autres choses que le vibromasseur est un des 3 premiers appareils électriques commercialisés aux USA et que Marilyn Monroe rabotait ses talons gauches pour "mieux tortiller du cul"), pyrotechnie d'idées déviantes et surtout un humour constant qui fait passer bien des pilules et autres considérations vaginales douteuses, transformant ce faux roman trashouille en jeu de massacre psychanalytique qui ne donne plus du tout envie de faire l'amour . Ni même de lancer une vidéo X avant de dormir.
   Comme dans tous les romans de Chuck Palahniuk, le singulier s'ouvre insidieusement vers l'infini (le chaos social dans Fight Club, la basculement de la névrose en paranormal dans Diary, les adolescents néo-terroristes de Pigmy…), mais où l'infini jaillit-il donc dans ce gang bang apocalyptique ? Dans le canyon utérin de Cassie Wright, dans la file d'attente interminable de pénis castés ou dans les désirs intrinsèquement insatiables des protagonistes? L'auteur répond assez vite : la Mort est au bout des tunnels. Sans trop révéler le récit, on peut promettre des extensions à base de métaphysique, de morbide et de thriller (dans un océan, histoire d'être clair, de vaseline, de sueur et de sperme). L'auteur ne loupe pas le coche de la sexualité comme pulsion de mort et nous laisse un bourdonnement existentiel une fois l'hystérie comico-sexuelle refermée. Aux dernières nouvelles, le livre serait déjà en cours d'adaptation cinématographique. Après les ratages de Choke et, à un degré moindre, de Fight Club, on attend quand même avec curiosité de voir ce blitzkrieg désenchanté et humide à l'écran.


« Je ramonais Cassie Wright à fond, et la fille au chrono a dit « fini. »

(…) Je l'ai prise en levrette, à quatre pattes, mes mains refermées sur la peau de son cul mouillé et détendu et j'ai entendu Cassie Wright dire « Virez-moi ce petit salaud ! »

Des mains se sont emparées de moi par derrière. Des doigts ont arraché mes doigts à ses cuisses. Des types m'ont tiré en arrière jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que ma bite en elle, je me suis cabré, mon gland encore en elle, puis il est sorti, et ça a giclé en un long ruban blanc sur ses fesses.

À l'autre bout de son corps, la bouche de Cassie Wright a dit : « Vous filmez bien ça, hein ? »

Le réalisateur a dit : « On le garde pour le trailer, celui-là. » Il a bu un peu de jus d'orange à la paille coudée et a dit : « Attention, petit, tu vas finir par nous noyer. » (p.179)

 " Aujourd’hui, c’est sa dernière performance. Le contraire d’un voyage de noces. En haut de ces marches, pour tous ceux qui passeront après le cinquantième, Cassie Wright ressemblera à un cratère laissé par une bombe et nappé de vaseline. En chair et en os, mais comme si quelque chose avait explosé en elle.

A nous voir, vous ne diriez jamais que nous entrons dans la légende. Le record définitif. "



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